Voici un film épatant émanant d'une réalisation soignée basée sur un scénario dynamique : road movie oblige. Le tout est assez bien ficelé pour contenir des rebondissements distrayants sans pour autant dévier d'une ligne narrative prévisible et bienpensante : feel good movie. Je suis sorti de ce film ravi de ma soirée. En écrivant ces lignes, je dois admettre aujourd'hui que je me suis un peu laissé embarquer. En effet, cette aimable comédie ne parvient à un résultat agréable qu'en procédant à un jeu de réductions qui me laisse songeur et qui pourrait légitimement agacer certains spectateurs chatouilleux sur le chapitre du racisme, enjeu moral de la démonstration. D'abord, il y a, disons, l' " illusion héroïque " qui désigne deux individus isolés pour mener un combat contre la ségrégation alors qu'ils traversent des États - les Jim Crow States - dans lesquelles se déroulent à cette époque un important mouvement de masse pour les droits civiques. Non seulement, Doc Shirley, le héros noir, pianiste " virtuoso ", ignore l'existence des stars de la musique noire du début des années 60, mais il semble aussi évident qu'il n'ait pas non plus entendu parler de Rosa Parks, de Malcom X ou du pasteur King. Bizarre… On dirait qu'il débarque de Mars. Par contre il a en poche le numéro de téléphone personnel de Bob Kennedy, ce qui indique qu'il est plus familier des hautes sphères du pouvoir (blanc) à Washington que de la culture afro-américaine. Ensuite, le choix des personnages incarnant la croisade est construit selon un procédé asymétrique curieux : le Blanc est un stéréotype de petit blanc tandis que le Noir est tellement atypique qu'il fait l'effet d'un extraterrestre, sa seule concession à la condition humaine consistant à descendre tous les soirs une bouteille de Cutty Sark. En bref, si l'on suit le raisonnement implicite du film et en recourant au langage sportif, on devrait comprendre que pour que le match soit équilibré et laisse à un Noir une chance de gagner sur un Blanc, il faut faire jouer le numéro un de son groupe contre un obscur de fond de tableau de l'autre groupe. Sans compter qu'un italo-américain du Bronx est loin d'être un WASP...
Tout le jeu du film consiste ensuite à rabattre sur la case départ les deux protagonistes égarés : le Noir dans un honkytonk, le Blanc dans sa famille du Bronx. Cela manque un peu de souffle et ne doit cependant pas faire oublier ce qui est fort bien réussi dans ce film : les différentes scènes reconstituant la ségrégation à l'œuvre dans la vie quotidienne du Sud profond. L'attitude de l'organisateur du dernier concert refusant avec des assauts de courtoisie de servir un dîner au musicien qui va être la vedette de la soirée est très réussie et résume très bien l'esprit de ce qui est tragique dans cette comédie.