Moi qui ne vais pas souvent au cinéma en ce moment, voilà que je tombe sur un film vraiment surprenant dans tous les sens du terme. La ségrégation raciale des noirs aux Etats-Unis est devenue un thème très à la mode ces dernières années, des kyrielles de réalisateurs plongent dans cette atmosphère de haine tenace qui occupe tout le pays, plus spécifiquement le sud en raison de son histoire et de sa culture. Lorsqu’un sujet se répand au point de faire couler de l’encre plus d’une dizaine de fois par semaine, il finit par susciter un sentiment de lassitude chez les gens qui finissent par préférer se tourner vers d’autres genres, mais on peut dire que Peter Farelly a vraiment envoyé du lourd si je puis me permettre cette expression familière, déjà en proposant de réunir un délicieux tandem formé par Viggo Mortensen (les fans du Seigneur des anneaux seront ravis de le retrouver) et Mahershala Ali, absolument épatant dans son rôle de génie virtuose ressemblant à une “gravure de mode” tant son allure soignée ainsi que sa tenue sculpturale défient tout appel à la vulgarité.


Ce duo contrasté étonne le spectateur dès le départ ; Tony est un père de famille d’origine italienne, vivant à New York en pleine période sixties (qu’il est agréable de se trémousser sur son séant en écoutant des musiques yé-yé, eh oui sur son séant dans une salle de cinéma ça peut le faire). Quand il ne s’occupe pas de sa femme, de ses enfants ainsi que de toute la “smala” italienne, il remplit un rôle de videur de cabaret. Un jour, il perd son travail temporairement et doit donc chercher un boulot pour nourrir les siens, il va donc faire la connaissance du Doc qui souhaite avoir un chauffeur attitré pour sa tournée dans le sud - au début il pense qu’il s’agit d’un vrai docteur - qui n’est autre que Donald Shirley, un pianiste qui sait aussi bien jouer “Winter wind” de Chopin que des classiques du registre jazz. En réalité, ce passionné de Chopin a dû quitter l’univers du classique pour le jazz sous prétexte qu’il était un homme de couleur. Au départ, nous sommes amusés par cette confrontation entre Tony et Don, deux personnalités à la fois marquées et opposées, ces deux pôles ne sont pas sans rappeler des duos tel que celui, très populaire, de Laurel et Hardy. Tony accepte d’accompagner ce savant de la musique reconverti en jazzman, dont le silence glacial et la dégaine aristocratique décontenance Tony, habitué à obtenir ce qu’il veut en usant de sa “tchatche” et n’ayant guère d’intérêt pour les usages. Son incorrigible gouaille exaspère le taciturne pianiste mais en même temps il est fasciné par sa faculté à rebondir en chaque situation (sauf lorsqu’il colle un marron de trop à un flic, chut je n’en dirais pas plus sinon je vais spoiler tout le film) ! Durant la tournée, une amitié finit par s’installer entre Don et Tony, en dépit de leur réticence et des préjugés qui les habitent au départ, ils seront accompagnés par deux musiciens, un violoncelliste ainsi qu’un contrebassiste, George discret mais toujours dévoué ainsi qu’Oleg qui semble être à priori le seul à comprendre les états d’âme de Don (quoi de plus logique, un russe parcourant les states en pleine Guerre Froide peut davantage saisir les enjeux de cette discrimination).


J’ai été touchée par l’humour tantôt burlesque (cet humour bon enfant que l’on retrouve d’ailleurs beaucoup dans les films d’époque me faisant penser qu’on ne rigole pas toujours autant de nos jours), tantôt piquant voire un brin acerbe, permettant au ton de ne pas virer au mélodrame ni à la niaiserie surfaite risquant de transformer une oeuvre cinématographique en un imbroglio de clichés et d’artifices. Si l’on se plie en deux à maintes reprises, certaines scènes plus graves provoquent notre indignation. La scène presque finale qui se déroule dans un bar de noirs est incroyable, enfin le protagoniste a la possibilité d’assumer sa différence, il parvient à fusionner les deux mondes qu’il côtoie en ne craignant plus l’exclusion (au passage, ça lui permet d’adresser un bon gros “fuck” à toute une société bourgeoise à la bouffissure décadente). Je le recommande à tous les nostalgiques des 60’s - même pour ceux qui n’ont pas vécu cette décennie - à tous les mélomanes, plus spécifiquement les amoureux du jazz et du classique ainsi que celles et ceux qui ont envie de voir un film où se mêlent plusieurs ingrédients, savoureux assurément.

LolaGridovski
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le 20 févr. 2019

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