Michael Mann affirme désormais clairement sa singularité, et par conséquent divise la critique de façon assez radicale. Les acquis à sa cause y décèlent la patte d’un auteur hors norme, se jouant du système qui le finance, proposant des films à l’apparence formatée qui seraient des joyaux malades. Les autres, déconcertés par son exercice de sape qu’ils ont du mal à considérer comme volontaire, haïssent cordialement.
Il faut reconnaître que rien ne semble fonctionner dans ce film. Rythme à l’encéphalogramme plat, jeu inepte, musique à sa mesure, la première heure met en place un brouet insipide dans lequel on s’englue avec douleur. Chris Hemsworth semble s’en remettre à ses mèches pour donner de l’épaisseur à son personnage, et la galerie qui l’accompagne, de l’expert asiatique à la black de service, ont tout du casting d’une série hi-tech comme les US en produisent au kilomètre chaque année. Où est passée, se demande-t-on, la présence des monstres qui jalonnaient les rues solaires de Heat ? Cette grande mélancolie qui venait piquer de rouille les surfaces bleutées et les lunettes noires ?
Bien sûr, Mann est au recoin de chaque plan, semblant savoir ce qu’on attend de lui : qu’il filme la ville. Aussi belle et nocturne que dans les publicités pour les Mercedes, elle nous offre certes quelques séquences ravissantes. De la même manière, les passages obligés de violence viennent jalonner son récit. La première, qui semble totalement incongrue et en rupture avec la longue neurasthénie qui la précède, réveille autant qu’elle irrite.
Mais c’est à partir d’elle que se met en place ce qui va sauver un peu l’ensemble du naufrage : le fait, justement, d’en raconter un, presque sans concession.
Ce qui sature ce film et qui faisait aussi la particularité de Public Ennemies, c’est son désespoir, son entreprise de destruction lente et inéluctable. La violence croissante, les échecs et les abandons prennent le pas sur une intrigue sans intérêt, et Mann conduit le film vers ce qui semble être son aboutissement : une fête mortuaire qui dévore les individus et leurs médiocres ambitions.
Cette mélancolie semble à rebours donner du sens à l’atonie initiale, sans pour autant justifier l’ennui profond qu’elle a pu susciter : ces personnages emprisonnés dans une banale enquête, dans un amour formaté, n’auront de sens aux yeux du spectateur et surtout du metteur en scène que lorsqu’ils commenceront à véritablement expérimenter la perte et l’échec. Au diapason de cette noirceur, la mise en scène, l’atmosphère vénéneuse du film finit par prendre l’épaisseur qui lui manquait.
Hacker est donc bien un film d’auteur, et on ne peut nier le volontarisme de son géniteur dans tout ce qui fait à la fois sa bancalité et sa tonalité. Et l’on se prend à rêver de ce que Mann pourrait faire s’il se décidait à sortir des sentiers battus du scénario hollywoodien.
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