Nouveau maillon de l'oeuvre de Michael Mann, Blackhat s'impose comme l'évolution logique et cohérente du cinéaste. Mann à toujours été un perfectionniste, soignant de manière maladive les détails de ses films et s'imposant, non pas un renouveau de son style, mais une évolution de celui-ci. Il part toujours de la base de son précédent film pour construire le prochain. Et ici cela se jouera en deux temps, car il reprend les bases visuelles de Public Enemies mais l'aspect narratif de Miami Vice pour faire son nouveau film. Il est donc peu surprenant que celui-ci soit accueillit froidement étant donnée qu'il part sur les bases des films les plus détestés de Mann. Certes Public Enemies est probablement un de ses films les plus faibles même si il reste relativement bon dans son genre mais Miami Vice est clairement un de ses chef d'oeuvre incompris qui est tout simplement l'apothéose de l'oeuvre de Mann, un film absolument fascinant et hypnotique.

Ici le scénario est purement mannien faisant même une synthèse de tout ses films précédents surtout dans l'élaboration de son personnage principal. Le héros est la représentation parfaite de tout les héros de Mann, un homme épris de liberté, romantique et surtout hors la loi. Aucuns des héros de Mann ne sont régit pas les règles de la société, ce sont des outsiders qui ne suivent que leurs propres codes de conduites, car ils peuvent être des criminelles mais ils restent avant tous des êtres moraux et droits. Ici on retrouve l'univers carcéral déjà dépeint dans The Jericho Mile, le déterminisme présent dans Thief, le mysticisme de The Keep, La traque de Manhunter, l’héroïsme de The Last of the Mohicans, la dualité de Heat, la quête de vérité de The Insider, celle de liberté de Ali, la contemplation de Collateral et le romantisme de Miami Vice. Donc on voit bien que Blackhat est un film synthèse comme l'avait pu être Public Enemies d'ailleurs qui mélangeait aussi les autres œuvres de Mann mais ici le cinéma du cinéaste atteint une nouvelle forme, celui de la réussite. Avant Mann dépeignait la solitude, l’isolement et brossait donc une réflexion sur l'échec, car ses héros n'atteignait jamais vraiment leurs objectifs et que leurs succès étaient généralement à double tranchant. Ici le héros arrive là où les autres ont échoué, il est le héros parfait de Mann, d'ailleurs celui-ci réattaque frontalement l’héroïsme car même si il était légèrement présent dans Public Enemies au détour d'une course poursuite homérique, le cinéaste n'avait plus dépeint de véritable héros depuis The Last of the Mohicans, s'intéressant depuis lors aux anti-héros. Ici son personnage est lisse, comme tout bon héros qui se respecte il est noble, beau et déterminé à faire ce qui est juste, quitte à se sacrifier. D'habitude les héros mannien était en proie au doute, à la lâcheté et à l’égoïsme, ce qui généralement les menais à leurs pertes et à leurs solitudes, ici rien de tout ça mais cela à un prix. Le personnage en devient donc psychologiquement très limité mais c'est totalement voulu par le cinéaste, qui va même jusqu’à interrompre une scène où celui-ci se confie pour éviter qu'il gagne en épaisseur. Car Mann est un cinéaste intimiste, qui s'intéresse à l'humain mais qui ici nous parle du virtuel, de l'informatique. Mais plus que de nous parler de ça, il va nous parler de l'impact qu'a l'informatique sur les humains, un impact négatif. Ici la déshumanisation des personnages a un rapport direct avec l'informatique, car dans un monde de plus en plus connecté, les humains n'ont jamais été aussi seul, aussi éloigné des uns des autres et Mann en profite pour écrire un duel entre l'homme et la machine. Ici la dualité viendra principalement de ça, car plus que l'affrontement entre deux hommes, c'est bel et bien l'affrontement entre deux entités, la revanche de l'homme sur la machine car plus le récit avance plus l'aspect hacking disparaît, le film en devient plus viscérale et les personnages gagnent en épaisseur et alors que tout le monde croyait que Mann allait parler d'informatique, c'est bel et bien l'homme qui est encore ici au centre de son cinéma. Pourtant d'un point de vue informatique le film est relativement bien détaillé, comme toujours chez Mann un gros travail de recherche à été effectué mais ici plus que sa complexité, Mann veut montrer au contraire sa simplicité, le filmant et le traitant même de manière organique, une simple touche peut faire basculer le monde et cette simplicité imprégnera le récit. Car on pourrait résumer l'ensemble par " pourquoi faire simple quand on peut faire compliquer ? " car ici tout est parfois trop simpliste, comme les motivations du méchant qui sont relativement décevantes ou encore certains raccourcis scénaristiques qui aurait pu être évités. Car ici le récit, même si il s’enchaîne avec fluidité grâce à une bonne gestion du suspense, manque cruellement de maîtrise, il est parfois mal tenu et fuyant. Même si parfois cela est voulu car cela sert le propos du film parfois cela sonne aussi comme des maladresses. Mais néanmoins Mann signe un formidable film de traque, on est véritablement tenu en haleine et l'aspect évolutif du récit est vraiment fascinant partant d'un film sur le virtuel on finit avec un western urbain lors d'un duel entre deux hommes en passant avant ça par le thriller, le film d'action et la romance. Mann étant fasciné par les réseaux et les flux, il suffit de voir comment il filme une agglomération durant la nuit pour s'en rendre compte, ici il fait un parallèle judicieux entre les réseaux informatiques et les réseaux humains qui sont tout deux désincarnés, impersonnelles, et froids comme cette introduction qui montre le chemin parcouru par une information dans le réseau électronique qui fait un parallèle judicieux avec l'homme qui traverse une foule uniforme durant un défilé, bouclant ainsi la boucle de cette affrontement entre l'homme et la machine, deux entités aussi complexes, aussi simple et aussi dérisoire. En ça le film se montre relativement dense et se part d'une double lecture assez appréciable qui vient équilibré les faiblesses et incohérences du récit. D'ailleurs j'aurais aussi aimé que les personnages secondaires soit un peu plus développé et que la romance, même si habilement traité, soit plus forte car c'est cela qui humanise le héros et c'est ce qui représente l'alternative à la robotisation engendré par l'informatique, ce lien humain qui plus que par les mots se ressent à travers le regard et l'entrechoquement des corps, l'amour.
Pour ce qui est du casting, ils sont tous très bon, Mann ayant cette fois-ci privilégié un casting moins connu et aussi moins occidental mais tout aussi talentueux. Mais même si certains auront du mal à faire abstraction du personnage de Thor pour Chris Hemsworth et ne le trouverons pas crédible en hacker, l'acteur s'en sort pourtant admirablement bien car plus qu'un hacker il représente à merveille le héros introspectif, romantique et déterminé cher à Mann. Le reste du casting l'accompagne à merveille notamment Viola Davis qui possède un personnage plus profond et plus intéressant que l'on pourrait croire tandis Tang Wei est la révélation du film, s'imposant avec charme et délicatesse grâce à une belle justesse de jeu, j'ai d'ailleurs eu un gros coup de cœur pour elle.
Sinon la réalisation de Mann est toujours aussi grandiose, continuant ses expérimentations du numérique pour aller même jusqu'aux images de synthèses avec un plan séquence assez hallucinant qui ouvre le film et qui montre le réseau informatique comme un réseau organique. La musique du film est sinon assez inspirée même si plus discrète pour un Mann tandis que la photographie est sublime magnifiant les passages nocturnes. Car Mann est un cinéaste nocturne et personne ne film une ville la nuit comme il le fait. Pour sa mise en scène on retrouve d'ailleurs tout ce qui fait le sel de son cinéma avec ses belles plages contemplatives, ce cadrage d'une précision chirurgical, ce découpage habile qui fait preuve d'un vrai savoir faire dans le montage avec en plus de magnifiques plans aériens. A n'en pas douter Mann reste un esthète et un formaliste d'exception et on ne peut rien reprocher à sa mise en scène parfaite qui connait de formidables fulgurances lors de fusillades, course poursuite et altercation aux corps à corps d'un réalisme saisissant filmé au plus près des corps. Ce ne sont néanmoins pas ses fusillades les plus impressionnantes étant assez loin de l'intimisme foudroyant de celle de Miami Vice ou de l'ampleur épique de celle de Heat mais elles sont clairement au dessus de toute concurrence étant parmi les meilleurs depuis ses 6 dernières années. Par contre Mann signe un des climax les plus inventifs et intéressants de ses dernières années qui fait preuve d'un découpage et d'une lisibilité à toute épreuve, un grand final.

En conclusion Blackhat est la synthèse évidente du cinéma de Mann qui conjugue toute ses belles qualités mais aussi ses rares défauts. Ce qui fait que le film est une réussite certes imparfaite mais incroyablement fascinante. C'est d'ailleurs pour ça que le bashing autour du film est totalement injustifié et que comme Miami Vice le film est condamné à être incompris. Car même si il n'est pas le meilleur de son cinéaste, il est loin d'être son moins réussi et que même si ces meilleurs séquences ne feront pas date dans l'oeuvre de Mann, le film ne doit en aucun cas être considéré comme un film mineur de la part de son cinéaste. Car il est dans la logique et la cohérence parfaite du cinéma de son auteur et nous dis très clairement que Michael Mann à encore des choses à dire, et j'espère sincèrement que Mann survivra au flop de Blackhat car il est sur que celui-ci vient de lui ouvrir tout un nouveau pan de thématiques à explorer et j'espère vraiment pouvoir voir Mann s'intéresser à celles-ci. En tout cas ici on a affaire à un très bon film qui nous prouve que Mann is still the man.
Frédéric_Perrinot
8

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le 21 mars 2015

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