Alors en plein renaissance artistique, M. Night Shyamalan avait surpris son monde en 2017 lorsque sort Split et nous laisse la surprise de découvrir lors d'une scène en début du générique de fin qu'il s'attaque à la continuité d'Unbreakable, encore aujourd'hui son meilleur film. On aurait pu se demander l'utilité d'un tel raccord, surtout que Split fonctionnait très bien sans cette volonté de le rattacher à une mythologie plus grande, mais cela offrait quand même une jolie promesse d'avenir. Et c'est donc là que Glass rentre en jeu, dernier opus de la trilogie qui va donc se faire rencontrer deux mondes et les laisser s'affronter. Car Unbreakable et Split sont deux films très différents, de leurs formes jusque dans leurs propos et force est de constater que Glass se révèle plus être le fruit du second que du premier. Comme si M. Night Shyamalan finissait de remettre en cause son cinéma et asseyait sa mutation.


Et c'est là où se trouve le premier élément vraiment décevant du film, c'est que celui-ci est davantage une suite à Split que d'Unbreakable et que l'univers de celui-ci se trouve assez vite sous exploité ou apparaît même en trop. Il suffit de voir le traitement très aléatoire qui est accordé à David qui ne connait aucune évolution majeure et se contente de faire de la figuration. Car ici ce n'est pas le portrait des héros qu'intéresse Shyamalan mais plus la place des vilains, ceux considérés comme imparfaits. Les brisés par la vie, les écorchés vifs, ceux tellement ancrés dans la solitude et la douleur qu'ils se voient rejetés par la société et c'est là que le film s'intéressera plus à Kevin et ses diverses personnalités ou dans un deuxième temps à Elijah dont le pseudonyme fait office de titre du film. Mais là où Shyamalan arrive encore à toucher juste dans son propos mais aussi dans sa manière de se réapproprié les codes du comics ainsi que de son propre cinéma dans une oeuvre souvent intelligente et méta, il néglige le caractère intime de son récit et sacrifie ses personnages.


Car à contrario de Unbreakable ou Split qui était des films de personnages, Glass puise son écriture dans celle des comics avec cette même exubérance des rebondissements et cette soif d'intrigue tentaculaire et à suspense. Les personnages deviennent avant tout les moteurs d'un récit qui est géré au compte-gouttes pour ménager les retournements de situations et entretenir les zones de doute, et on se retrouve souvent face à des développements assez artificiels notamment quand le film réutilise Casey pour introduire une histoire "d'amour" inutile ou encore lorsqu'il laisse le protagoniste du film dans l'ombre lors des deux tiers du récit car il est détenteur de bien trop de réponses. On se retrouve donc avec une utilisation beaucoup trop mécanique des personnages qui n'ont utilités qu'à faire avancer certaines phases du récit pour aboutir au twist final. Un twist assez prévisible ainsi que tiré par les cheveux et qui ruine l'aspect émotionnel de Glass. Les révélations intervenant lors d'une séquence charnière où Shyamalan sacrifie l'ampleur tragique de ce qui se produit au profit de l'intelligence froide de son levé de rideau. On se retrouve donc à devoir jongler avec beaucoup sans avoir le temps de s'émouvoir, perdant donc ce qui faisait la dramaturgie épique des climax d'Unbreakable ou Split.


Les acteurs n'ont donc pas forcément la place de s'exprimer et livrent des performances en demi-teinte. James McAvoy reste la principale attraction et encore une fois il offre un travail remarquable dans sa façon de dépeindre plusieurs personnalités au sein de mêmes scènes même si moins central au récit et plus détaché de l'émotionnel, sa performance en devient moins spectaculaire. Il sort du lot mais c'est surtout parce qu'il se retrouve face à un Samuel L. Jackson sous exploité et un Bruce Willis totalement effacé. Reste Sarah Paulson et Anya Taylor-Joy qui livrent de bonnes prestations et servent de second rôles solides. Glass fonctionne au final bien plus sur sa symbolique et son aspect méta que pour ses valeurs narratives. Véritable réappropriation des codes du comics qui transpire d'un amour sincère en replaçant intelligemment la figure du surhomme dans un contexte plus réaliste et faisant un habile parallèle avec les fêlures de l'esprit. Le film devient un exemple de construction que ce soit dans l'endroit où l'intrigue prend place jusqu'à même ses dérives narratives, tout fait sens et raconte quelque chose. On en retient au final une belle réflexion sur l'acceptation et la transmission où Shyamalan réinterroge son cinéma et le déconstruit. Après avoir passé sa filmographie à instaurer le fantastique dans le réel, il prend la démarche opposé en nous présentant le fantastique et en nous faisant douter de ses fondements pour mieux le réinventer. Tout ça s'accorder avec une mise en scène habile, qui refuse tout spectaculaire et s'impose avec une minutie imparable. Parfait mélange entre les plans longs, ambitieux et aérés d'Unbreakable et le montage plus acéré et vif de Split. Même si il en résulte un opus à l'identité visuelle moins affirmé où sa seule particularité vient de sa façon très documentaire de filmer l'action, parfois assez proche du found foutage comme Shyamalan s'y était essayé avec The Visit.


Glass est sans conteste l'opus le plus fragile de la trilogie initié par Unbreakable il y a maintenant 19 ans. M. Night Shyamalan à réussi à offrir 3 films aussi différents que complémentaires et même si il n'a pas perdu en intelligence, il perd ici incontestablement en émotions. Pourtant on a le droit à un beau propos autour des écorchés par la vie et une réflexion habile sur le cinéma de son auteur mais l'ensemble doit souvent surnager dans un récit trop artificiel et trop emprunt aux comics, notamment dans ses rebondissements caricaturaux et tirés par les cheveux dont sont victimes les personnages qui n'ont plus la place de respirer. Même si la démarche se justifie sur le plan symbolique, elle accouche trop souvent de maladresses sur le plan narratif. Glass devient donc une oeuvre frustrante, aussi décevante que parfois vraiment engageante mais elle souffre de beaucoup trop de faux pas pour se hisser au niveau de la réussite de ses deux aînés. Pourtant il y a quelque chose de précieux dans cette fragilité, quelque chose qui se doit d'être protégé. Étendard d'un cinéma personnel et conscient de ses codes, c'est une oeuvre généreuse qui a du cœur et dont on se souviendra de son beau message sur les laissés-pour-compte même si il ne le livre pas de la manière la plus fine qui soit.

Frédéric_Perrinot
6

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le 22 janv. 2019

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