Longtemps, j’ai rêvé de voir le mont Fuji

  On peut voir autre chose que de la violence, en visionnant le Lion d’or 1997. Je n’avais pas trop aimé à l’époque, mais pourquoi ? Pourquoi tant de haine ? Peut-être à cause du parti pris extrême qu’affectionne Kitano. Toujours dans les extrêmes, jamais de demi-mesure avec lui. Voici Nishi, (Kitano), sa femme, condamnée par le cancer, et la perte d’un enfant. Deux êtres seuls. Les personnages sont toujours seuls chez Kitano. Se sont des statues droites, qui posent droitement pour la photo, et la postérité. Elle, elle a depuis le début du film acceptée son sort. Elle reste muette. Et soudain, la violence éclate.


  Elle, immobile, lui, il continue de se battre. Les gestes sont magnifiés par la magie du montage. Court. Tel un éclair, ou un coup de sabre, et ça éclabousse le siège du spectateur. Les films de Kitano sont sanglants. Et ils ont aussi la grâce d’un ralenti, sanglant. Les films de Kitano sont poétiques. De ce contraste entre la douceur extrême avec laquelle il traite sa femme, et la brutalité qu’il laisse éclater avec tous ceux qui se mettent en travers de sa route. Nishi est flic et endetté. Il doit de l’argent aux yakuzas. Violence à réaction ! Et voilà le réalisme poétique à la Kitano, qui déploie lentement ses ailes. Bien que fauché, il paye un matériel de peinture à son collègue blessé alors qu’ils étaient en planque, et que lui a laissé la planque pour aller voir sa femme à l’hôpital. Et voilà que le film se déplie comme un éventail. Son seul et unique but dans la vie, sera son combat, offrir à sa femme un beau départ. Il fera tout pour lui faire oublier la maladie, et transformera ses derniers jours en vacances improvisés. Violence ? Où ça ? Elle, cela ne la concerne plus, comme si elle était déjà dans l’autre monde.


  Film simple en apparence, avec des scènes simples, tel un artifice sur pattes. Et des personnages plus abrutis tu meurs. Plus tous plus abrutis les uns que les autres. Et soudain,


ça frappe !


 Comme un coup de masse dans ta gueule. Pas pour les amateurs de sensiblerie, et les malades du cœur, comme le dit la chanson. Un vrai gosse ce Nishi. Il ne pense qu’à se battre pour régler un problème, il frappe. Ou il te tire dessus. Il fait des bêtisés qui font rire sa femme, et d’autres actes qui font crier de douleur, ou pleurer du sang. Question.


 La société japonaise est-elle violente à ce point ? C’est la question que je suis obligé de me poser. Tous des automates. Comme rendus mous par une drogue quelconque. Même un braquage de banque laisse tout le monde froid. Société qui fonctionne à la trique et au bâton, malgré l’apparente zénitude, et la politesse traditionnelle. Flic corrompu, garagiste corrompu, yakuzas, petits voyous de seconde zone. Seule le collègue cloué sur son fauteuil vit. Ou plutôt il revit. Il peint. Et ses tableaux comblent l’écran par leur maladresse de débutant. Peinture naïve.


Dessin d’enfant, couleurs pures. Du symbolisme de cours de récréation. Du Douanier Rousseau sans imagination. Et un nouveau regard sur la vie, les choses. Des fleurs, des êtres mi-animaux, mi-végétaux. Le peintre amateur, avoue être un amateur. Mais lui au moins, il vit. Cet un alliage de contraires qui tiennent par la volonté du forgeron qui a tout coulé dans l’acier, un sabre fait de couches superposées, avec le chaud, et le froid. Comme cette musique caressante et mélancolique. Elle nous emporte par les oreilles avec douceur…et le sang gicle ! Encore ( ?)


Film de gangsters, film noir, comme on dit, film de peintre, film fait d’innocence, de bonheur retrouvé mais sale. Film d’un équilibre brutal et assumé comme tel.


   Et la femme de Nishi sourit. Et nous sommes face au mont Fuji.


  Elle voulait voir le mont Fuji avant de mourir.


   Il n’y a pas que de la violence dans les films de Kitano. C’est l’excès qu’il utilise comme ponctuation. Précision du trait, dur comme le verbe. Comme pour décrire un monde et ses codes, un monde qui semble immuable, pour un film dont certains raccords de donnent des coups de bâton dans la tête, avent de te rafraîchir avec un peu d’eau glacé, sur cette même plaie. Kitano semble adhérer à la maxime du philosophe qui disait que la vie serait, une : « …expérience brutale, désagréable et courte ». Et les moments de calme plat, ne sont qu’apparences. Nuances.


Des moments de pure beauté, comme cette fille qui joue au cerf-volant sur la plage. Elle aussi semble frappée de stupeur, comme les autres, qu’importe. Une abrutie comme les autres. Nuance…

Angie_Eklespri
8
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le 26 févr. 2018

Critique lue 183 fois

Angie_Eklespri

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