Le sujet de Hasta la vista laissait craindre le pire. Trois jeunes handicapés décident d'organiser un voyage en Espagne, dans un bordel spécialisé dans les relations avec des infirmes, lieu où ils comptent bien perdre leur pucelage. Road-movie singulier et buissonnier, le film de Geoffrey Enthoven parvient à peu près à déjouer tous les pièges dans lesquels il risquait fort de s'abimer. Loin du politiquement correct et des bons sentiments faciles, hormis une issue lacrymale et grandiloquente – mais pouvait-il en aller autrement – Hasta la vista se révèle incroyablement juste pour ce qui est de la description de la vie quotidienne de personnes lourdement handicapées, confrontées à un tas de problèmes pratiques dès lors qu'ils entreprennent en catimini le périple, en compagnie d'une femme servant tout à la fois de chauffeur, d'intendant et d'infirmière – chacun ne pouvant être autonome.

Parce qu'il manie l'humour grinçant, semé d'une autodérision salutaire, le film tourne résolument le dos à l'apitoiement. Mais il est aussi une œuvre d'initiation, dont on peut se douter qu'elle ne sera pas au final que sexuelle. Les trois amis, complémentaires et solidaires, s'ils aspirent à assouvir des désirs on ne peut plus légitimes, aspirent tout autant à mener une vie normale où ils ne seront pas constamment regardés avec pitié ou condescendance. Hasta la vista parvient à créer une succession d'émotions sans cesse changeantes : on rit à une scène et on est émus aux larmes à la suivante. À la façon de ses trois jeunes héros, qui n'ont pas d'autre choix, ce qu'il montre très bien, le film affronte sans ambages, parfois crûment, le plus souvent avec intelligence, la réalité dans ce qu'elle peut avoir de plus cruelle et inéluctable. La belle énergie et l'amour de la vie se concrétisent ici par le goût, et la connaissance, du vin. Cet épicurisme revendiqué n'est pas une des moins belles trouvailles du film qui trouve aujourd'hui un circuit de distribution en France grâce à...Claude Lelouch qui, emballé par le film découvert à Montréal, décide de le sortir. C'est une riche initiative tant cette comédie culottée et toujours juste empoigne la question de la sexualité des handicapés avec beaucoup de finesse et de respect. Et se métamorphose peu à peu : de l'escapade potache à la manière d'un teen-movie classique (des jeunes, du sexe en perspective et un humour décomplexé) aux situations plus dramatiques. Une audace assumée sans ostentation, un certain sens de la transgression : Hasta la vista constitue contre toute attente une véritable surprise venue des Flandres.
PatrickBraganti
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le 12 mars 2012

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