Même les mots et leur sens échappent à ces hommes de l'ombre voués à un destin tragique, qui se croient n'être que ce qu'ils font .
Que poursuit-on sinon des rêves? Hanna et McCauley en ont -ils encore? Le plus cynique, ou désabusé n'est pas celui qu'on croit. L'un des deux feint de se croire capable de raccrocher, il se ment à lui-même, comme nous tous.
Non Hanna ce que tu fais, ce que vous faites, Hommes du film, vous a rendu prédateurs. Ni plus, ni moins. La froideur dans l' action incarnée par De Niro rappelle extraordinairement celle de Lino Ventura dans l'Armée des ombres, oeuvre de Melville tant révérée par le cinéaste. Le génie de Mann est d'avoir construit son récit sur un face à face ou la proie et le chasseur s'inversent ou se confondent, *" Vous savez ce qu'ils regardent? ....Non... Vous savez ce qu'ils regardent... Nous, putain! Ah ah ah *.
Un face à face où les deux monstres se rencontrent, se reniflent, se respectent, et repartent sans que jamais un plan ne les englobe tous les deux...
Les personnages masculins souffrent tous de cette malédiction de se tromper sur eux-mêmes, à part peut-être Cheritto qui énonce cette vérité commune à tous, "au fond ce que j'aime c'est l'action." Waingro aime le goût du sang, le pouvoir de vie ou de mort sur les êtres. Hanna aime gagner, coincer les cadors qui se croyaient les plus forts, leur prouver qu'ils avaient tort, ce qui motive sa rencontre au sommet avec sa proie. MacCauley aime ce qu'il fait, tellement. Il suffit pourtant d'un vide, une abîme, ce sentiment de solitude au sein de sa famille de gangsters, formidable moment fugitif de cinéma, et il fend son armure de braqueur invulnérable. Il ouvre son cœur si vous entendez ce qui se joue à l'intérieur de lui....
Van Zant n'aime pas perdre. Breedan ( Dennis Haysbert qui jouera bientôt le président des EU ) veut montrer qu'il est un mec fiable, et Chris veut montrer à sa femme qu'il peut assurer. Au fond le braquage en lui-même n'a que peu d'importance.Il est ce moment de haute tension au cœur du film, qui redistribue avec fracas les cartes du Destin, en laissant encore à ceux qui en sont sortis vivants.
Mann l' a rendu mémorable uniquement par sa mise en scène. Plus je revois le film, moins j'y prête attention, ou alors à des détails de la chorégraphie noyés dans le fracas ( les douilles vides qui giclent sur le côté des armes de guerre, image saisissante autant qu’inhabituelle dans un film, un tel déchargement est quasi jouissance sexuelle pour des personnages sous tension qui jouent avec leur peau), alors que toujours plus je découvre, je m'attache aux personnages de ce film choral caché sous les oripeaux du film-confrontation des deux monstres sacrés des années 70 -80*.
Mann à la tête d'un budget et d'une équipe de talents maîtrise de bout en bout ce qu'il sait être son immense film, le tournant de sa carrière. Il y met tout ce qu'il a, ce qu'il sait, ce qu'il veut pour atteindre un Sommet Artistique, montage au cordeau, images somptueuses et sobres à la fois, jeu des acteurs à l'unisson. A la fois film noir, Tragédie où les femmes sont le chœur antique avertissant leurs hommes, ou les questionnant sur leurs réelles motivations. "Vincent, veux-tu être mon père?", demande Lauren Gustafson de la façon la plus extrême qui soit.


Une histoire de pacte de sang, d'hommes. Où les femmes ont le dernier mot et les hommes la dernière image, le dernier geste.Ultime. Toujours terrassé par la fin, je suis. Comme avec l' Armée des Ombres qui décidément hante cette critique, comme ce film? Éternel recommencement si bien souligné par Sergent Pepper, Heat est le remake de LA Takedown.


Quand viendra le prochain film de cette trempe, sur la condition humaine ? Où la vérité jaillit de la Mort qui menace tous ces toreros dans l' Arène de la Cité des Anges.


*Plus réussi-et c'est un euphémisme, qu'une chance sur deux sorti trois ans plus tard, fêtant les retrouvailles de nos monstres à nous, Delon-Belmondo.

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le 14 oct. 2017

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PhyleasFogg

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