Il y a quelque chose de profondément intrigant à retrouver Claire Denis dans l'espace, d'autant que la cinéaste, éprise d'une certaine noirceur, avait déjà surpris son monde l'année dernière avec sa belle comédie de mœurs Un Beau soleil intérieur. On ne retrouvera pas dans High Life la vigueur qui faisait le charme de ce petit film, conçu comme une charnière entre deux moment plus grands, mais paradoxalement beaucoup plus accompli que cette intrusion pontifiante dans la science-fiction : ici, ce sont des condamnés à mort qu'on envoie dans l'espace pour... Miner des trous noirs. Faire des enfants un vitro. Jardiner. Allez savoir.
Qu'on soit coutumier ou pas de l'art de la fuite de Claire Denis, cette absence de cap a de quoi décontenancer. D'autant qu'en face, le cahiers des charges du survival en milieu stellaire est lui bel et bien rempli. Ainsi, chaque condamné répond à une fonction bien précise, du pilote à la savante folle : c'est simple, tout le casting de Mass Effect répond à l'appel, et l'absence de contrepoint à ces existences égarées peine à les rendre sympathiques. High Life ne nous épargne rien, ni la romance en sourdine, ni les surimpressions de femmes fertiles sur fond étoilé, ni les personnages écrans qui se contentent de faire avancer l'intrigue quand il le faut bien. Dans un moment de lucidité du scénario, Monte (très bon Robert Pattinson) soulève le corps inerte d'une autre condamnée pour la jeter dans l'espace, et, surpris de sa légèreté, s'exclame "c'est comme si tu n'étais pas là". Effectivement, la suite du film, tout en flash-backs assez habilement construits (mais tout aussi inutiles que le reste), nous le confirme : simple fantôme voué à disparaître dans un raccord foireux, elle n'a effectivement jamais été là.
On peine, d'un terreau à la fois si fragile et maladroit, à déterrer le sens de High Life. On pense d'abord à un embryon de réflexion sur les dérives pénitentiaires de nos sociétés modernes, mais l'europudding infâme imposé par une vague co-production Internationale (on y charrie de l'américain, de la française, de l'allemand et de la polonaise) renie tout ancrage géopolitique. On envisage ensuite une étude, plus modeste, des noirceurs de l'âme, que les qualités de portraitiste de Claire Denis interdisent heureusement : on ne transforme pas n'importe quel repris de justice en Anne Hathaway dans Interstellar. Ne reste que quelques bribes de paraboles un peu ringardes sur la sexualité comme noeud de l'existence, pulsion à la fois destructrice et créatrice. Mais Freud a déjà défriché ce terrain là, et non sans lourdeurs : High Life ne nous en épargne aucune, du viol à l'inceste, et le fait qu'elle soient émaillées de véritables moments de bravoure (scène de sexe quasi-païenne sur un godemichet, il fallait oser) ne les rend pas moins connes.
High Life s'apparente en réalité à un tout autre film, plus proche du relativement controversé Les Salauds, inséré au chausse-pied dans un bel écrin de science-fiction. Claire Denis fait ici la preuve de son talent de metteur en scène : l'image, à partir de peu de chose, parfois un simple truchement du numérique et du 16mm, infère plus de sens que ce qu'elle illustre. C'est un talent précieux qui ne trouve malheureusement pas propos à sa hauteur. Les lourdes conventions du genre ne servent pas non plus High Life, et on pense un peu hilare au nom de l'astrophysicien Aurélien Barrau pompeusement imprimé au générique d'un film qui s'ouvre sur la chute libre d'une clé anglaise dans l'espace. C'est beaucoup de cérémonie pour peu de chose : on peut y appliquer toute la rigueur scientifique du monde, au cinéma, moins par moins ne donne pas toujours plus. Comprendre : un drame médiocre maquillé en science-fiction lambda n'accouche que rarement d'un bon film.