Nouvel arrivant dans le service de son père, Benjamin, à peine âgé de 23 ans, reçoit une blouse avec des « tâches propres » de deux tailles supérieures à son gabarit. Cet uniforme surdimensionné illustre à merveille l’étendue de ce qui attend l’étudiant dans l’exercice pratique de son futur métier. Qu’il s’agisse de réaliser une ponction lombaire, d’ausculter un patient alcoolique se plaignant de douleurs abdominales, Benjamin a encore le geste mal assuré, la crainte de mal faire en posant un mauvais diagnostic et le doute de savoir s’il est fait pour cela. En même temps arrive Abdel, médecin algérien plus expérimenté, dont le diplôme invalidé en France le cantonne à être un FFI (faisant fonction d’interne).

Avant d’être réalisateur et scénariste, Thomas Lilti est un médecin. Autant dire qu’il sait de quoi il parle. Ce qui donne à Hippocrate une incontestable authenticité lorsqu’il montre les deux internes auprès des malades (souvent en fin de vie) et dans leurs pauses festives de décompression nécessaire et salvatrice, mais aussi quand il s’attache à répertorier de manière presque exhaustive les problématiques économiques et matérielles d’un hôpital : manque de personnel et d’équipements, réduction des budgets, luttes intestines entre différents services. Situés théoriquement sur un même rang, Benjamin – dont nul n’ignore qu’il est le fils du patron – et Abdel qui observe, presque ahuri et dépité, les comportements puérils et grégaires des jeunes internes, ne bénéficient pas pour autant des mêmes traitements. Ce que révèle la part fictionnelle du film, peut-être moins convaincante, presque accessoire, un peu trop fabriquée dans son romanesque de révolte naïve et fougueuse.

C’est Vincent Lacoste qui interprète Benjamin. Comme sa blouse dans laquelle il parait flotter, le jeune comédien n’est sans doute pas idéalement taillé pour le rôle presque incongru de cet interne pétant les plombs qu’on peine à trouver réellement responsable et investi. À sa décharge, il a en face de lui l’impeccable Reda Kateb, parfaite alchimie entre douceur empathique – les scènes avec la vieille dame cancéreuse sont déchirantes, d’une pudeur et d’une justesse exemplaires – et sourde violence puisée dans l’illogisme des décisions et la difficulté à accepter une position jugée inférieure.

Bien moins narcissique que l’avait été la réalisatrice Maïwenn lorsqu’elle avait posé sa caméra au cœur d’une Brigade de Protection des Mineurs pour Polisse (2011), Thomas Lilti met en scène cependant un projet similaire entre documentaire et fiction sur le fonctionnement d’un corps de métier. Entre les policiers et les internes, il existe le même esprit de la mission, le sentiment d’appartenance qui fait des collègues une tribu avec laquelle on partage repas et fêtes copieusement arrosées. L’hôpital où s’achèvent dans la douleur et l’impuissance tant de destins contient en lui suffisamment de dramaturgie et de tension pour que Hippocrate nous touche et nous émeuve – rappelons-nous pour l’occasion des séries télé Urgences ou Dr House. Chaque spectateur trouve dans ce type de film quelque chose ayant trait à son propre vécu. Mais le consensus de l’ensemble est largement compensé par la justesse et l’amplitude du regard du réalisateur.
PatrickBraganti
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le 6 sept. 2014

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