Une fille est dans un bus de supporters qui file tout droit vers le stade Azadi pour la rencontre fatidique Iran-Bahreïn, qui qualifie l’équipe iranienne en cas de victoire ou de match nul, pour la coupe du monde 2006 qui se déroulera en Allemagne. Cette jeune femme se cache, se faisant du mieux qu’elle peut pour se faire passer pour un garçon. Elle n’est pas la seule, on dit que d’autres jeunes font la même chose dans les cars d’à côté, mais se fondent davantage dans la foule, font finalement moins clandestines. Hors-jeu a deux immenses qualités qui le hissent vers des rivages insoupçonnés et bouleversants. D’une part il y a cette sensation de relais très singulière où il ne s’agit pas de simplement suivre cette fille, telle une introspection Dardennienne. Le début du film est pourtant exactement ça, à savoir le voyage dans le bus (où l’on décèle déjà pourtant l’envie du cinéaste à filmer pas tant le trajet angoissant de cette fille mais autour de lui avec une dynamique impressionnante, caméra en perpétuel mouvement) puis la marche vers le stade, l’achat de la place, le passage à la sécurité puis à la fouille. Tout est vécu du point de vue de cette femme, visage baissé, légèrement maquillée par de petits drapeaux sur les joues ou une écharpe de l’équipe. Interdiction de parler sous peine d’être automatiquement repéré.

Si l’on espère un petit peu de sympathie de ces gardes, présentés comme des sous-fifres du pouvoir mais jamais comme des monstres, ni même avec méchanceté, il n’y aura pourtant, dans cette première partie de film, à savoir jusqu’à la mi-temps, aucune tolérance de leur part. La jeune femme est placée en quarantaine « en attendant le chef de la brigade des mœurs » derrière les gradins du stade, lieu minuscule, aéré, encadré par des barrières de sécurité et quelques gardiens. La majeure partie du film se déroulera ici, dans ce lieu frustrant, reculé, cerné par les murs des gradins d’un côté et une vue sur plongeante sur Téhéran de l’autre. Le bruit de la foule contre celui des voitures. Deux sensations de libertés qui s’opposent à cet enclos improvisé.

L’idée vient sans qu’on s’y attende : la jeune demoiselle passe au second plan, elle s’efface derrière d’autres, elles-aussi venues clandestinement, elles-aussi punies de stade. Le film glisse alors à plusieurs reprises, montrant davantage des deux femmes avec des caractères beaucoup plus trempées – l’une ayant même tenté de voir le match en présidentielle habillée en militaire – puis en suivant plus tard cette fille que l’on emmène aux toilettes. C’est d’ailleurs lors de cette escapade où la jeune femme passera au travers de l’autorité, aidé par des supporters solidaires, puis se perdra dans la foule, qu’un plan à priori impossible apparaît. Si jusqu’ici nous n’avions aucune image du match en train de se jouer, uniquement des chants, des cris, entièrement hors-champ, le son y étant pour beaucoup ici afin de nous faire croire à ce match d’éliminatoire, il y a dans la course du gardien pour rattraper la jeune femme un plan où on le voit courir sur un gradin, se stopper et nous découvrons le match se jouer derrière lui et les quatre vingt dix milles personnes qui occupent le stade. J’aime l’idée de ce plan qui existe, mais jamais pour en mettre plein à la vue, pour faire performance, il est là mais on ne se pose pas la question, il est là dans le rythme du film, dans la situation, il n’est pas là pour impressionner malgré tout il l’est. Mais la vraie bonne idée du film tient dans sa façon de rapprocher la durée du match avec celle du film, de voir la luminosité baisser au fur et à mesure, avec les lumières de la ville qui font leur apparition au fond, le stade qui s’embrase hors champ d’abord dans une ambiance aride et inquiétante pour finir dans une nuit frémissante pleines de bruits et de lumières. En cela le film n’est pas qu’une simple satire mais surtout un incroyable film de mise en scène.

Les plus beaux moments du film concernent la seconde mi-temps. L’ouverture du score de l’Iran d’une part, vécue à égalité, femmes comme gardiens. Puisqu’en fin de compte, l’un comme l’autre ne peuvent avoir accès au match. Dans une séquence superbe l’un d’eux commentent ce qu’il voit du match à travers les barreaux d’une sortie qui n’en est pas une. Puis c’est l’instant attendu, tant redouté, l’arrivée du chef de la brigade des mœurs. Le film pourrait changer de ton, basculer dans un état de violence ou dans une psychologie gnangnan, mais pas du tout, il garde cette légèreté et cette dynamique, dans un bus comme au départ, et continue son glissement, cette fois vers un jeune garçon, embarqué pour son comportement et récidiviste. La fin du match est alors vécue en temps réel à l’écoute d’une radio capricieuse, tandis qu’un des gardes s’occupe de l’antenne. En fait, Hors jeu est un film très drôle aussi par le nombre de petites choses supplémentaires et inutiles au message politique du film qui nourrissent le récit. L’antenne en fait partie, comme plus tôt il s’agissait du poster d’un joueur, ou encore un téléphone portable et depuis le tout début avec cet homme qui recherche vainement sa fille. Et le film se termine dans un espèce d’état total, dans un rythme effréné, hyper cocasse, un climat de liesse extrême et une mélancolie qui se lie au message politique très fort. Ainsi, l’Iran remporte sa qualification en temps réel, les gardes eux-mêmes n’ont plus la tête à leur job autoritaire, le jeune garçon du car sort des pétards, on chante, on danse et on apprend au milieu de cela le véritable motif de la présence de cette jeune femme du début – seule d’entre elles qui semble plus détachée de l’ambiance euphorisante – qui rendait hommage à son petit ami, en honorant sa mort lors des émeutes du match Iran-Japon. Mais le cœur est à la fête. Je n’avais jamais vu au cinéma une telle sensation de joie collective aussi bien mise en scène. C’est bouleversant.
JanosValuska
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le 29 nov. 2014

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