Le film de Steve McQueen n’est ni un plaidoyer brûlant, ni une dénonciation précise, et encore moins la reconstitution d’un fait marquant de la sombre histoire qu’a traversé, pendant des années, l’Irlande du Nord. Malgré sa conjoncture biographique complexe, Hunger se place au-delà de toutes considérations politiques et sociales, s’éloignant des œuvres revendicatrices de Loach ou Sheridan ; il est donc avant tout l’exploration brutale et "poétique" d’un mouvement contestataire qui se cristallise en résistance sulpicienne, voire christique pour Bobby Sands lors de sa grève de la faim. Dernier rempart à la répression, ultime instrument de révolte quand plus aucun n’est envisageable ou possible, le corps s’exprime et s’affranchit comme une machine du désordre, de l’insurrection vitale (et virale). L’urine, la merde, le sang, la barbe drue et les cheveux longs, toutes ces manifestations organiques concrétisent les actes de rébellion face à un système autoritaire qui, à ce stade, ne peut plus rien contre, n’étant là (tel un Cerbère démuni) que pour laver les murs, nettoyer les sols, se cogner les poings ou s’acharner dans une violence nue.

Qu’importe les torts, les raisons et les discours, la puissance d’Hunger est là, évidente, râpeuse, mercenaire, éclatée en mille morceaux venant fendre le spectateur jusqu’au cœur et le labourer jusqu’à la gorge. Construisant son film en diptyque doloriste, McQueen s’intéresse d’abord à un soulèvement collectif pour se consacrer, dans la seconde partie, à celui de Bobby Sands, personnel et plus radical (neuf autres détenus, à sa suite, se forceront à dépérir). La finalité de son engagement semble dépasser le cadre même de ses exigences (reconnaître le statut politique des prisonniers appartenant à l’IRA) qui paraissent presque secondaires, presque dérisoires par rapport à la force et la symbolique de son calvaire.

À l’instar du magnifique roman de Tahar Ben Jelloun, Cette aveuglante absence de lumière, l’esprit sait rester plus libre, plus infrangible que le corps rongé, dévasté, désaxé, et la volonté s’émancipant des chairs meurtries permet dans son absolu la survie d’une cause (en allant, paradoxalement, jusqu’à la mort) ou de soi-même (18 ans enfermé dans un cachot sans lumière). La prison de Maze et le bagne de Tazmamart représentent, au milieu de tant d’autres, ces gouffres noirs et terrifiants où la lutte, au nom de multiples principes, s’incarne spirituellement, universellement. McQueen agit ainsi en artiste sensitif, en artiste du monde, abandonnant pour son film les oripeaux d’une démarche trop fictionnelle en y préférant l’allégorie d’un affrontement idéologique et barbare. Sans prendre parti (sinon celui d’une esthétique sublimée), sans occulter, sans stigmatiser, il sait dénicher l’imaginaire au revers de la matraque, la transfiguration derrière la sédition, la beauté sous l’immondice.
mymp
7
Écrit par

Créée

le 19 oct. 2012

Critique lue 392 fois

5 j'aime

mymp

Écrit par

Critique lue 392 fois

5

D'autres avis sur Hunger

Hunger
Corn-Flakes
8

Critique de Hunger par Corn-Flakes

Moi, quand on me dit Steve McQueen, je pense immédiatement à une poursuite en moto, aussitôt des images de La Grande évasion me reviennent, etc. Mais non, là il s'agit d'un autre Steve McQueen, un...

le 4 août 2010

77 j'aime

5

Hunger
Strangelove
9

Insoutenable et abominable mais quand même une belle grosse claque dans la gueule !

Quand on pense Steve McQueen, on pense généralement à cet acteur de renom des années 50-60 et passionné de grosses cylindrées. Mais ce n'est pas de celui ci dont il est question ici. Ici on ne parle...

le 9 mars 2013

44 j'aime

3

Hunger
obben
7

La faim justifie les moyens

La mise en scène de Steve McQueen partage les mêmes défauts que ses qualités. Froide et distante, voire minimaliste (ce qu’on retrouve dans le scénario et les dialogues), elle semble ne vouloir...

le 12 oct. 2013

36 j'aime

8

Du même critique

Gravity
mymp
4

En quête d'(h)auteur

Un jour c’est promis, j’arrêterai de me faire avoir par ces films ultra attendus qui vous promettent du rêve pour finalement vous ramener plus bas que terre. Il ne s’agit pas ici de nier ou de...

Par

le 19 oct. 2013

180 j'aime

43

Killers of the Flower Moon
mymp
4

Osage, ô désespoir

Un livre d’abord. Un best-seller même. Celui de David Grann (La note américaine) qui, au fil de plus de 400 pages, revient sur les assassinats de masse perpétrés contre les Indiens Osages au début...

Par

le 23 oct. 2023

171 j'aime

14

Seul sur Mars
mymp
5

Mars arnacks!

En fait, tu croyais Matt Damon perdu sur une planète inconnue au milieu d’un trou noir (Interstellar) avec Sandra Bullock qui hyperventile et lui chante des berceuses, la conne. Mais non, t’as tout...

Par

le 11 oct. 2015

161 j'aime

25