Le cinéma, parfois, ça tient à peu de choses. Le chiffre d’affaire d’une trilogie littéraire, par exemple. « Si des ados sont capables de se tartiner 400 pages d’un roman de gare en trois tomes, il est de notre devoir de l’adapter au cinéma. » L’image, c’est la facilité, et le cinéma, le point de jonction entre la noble littérature et l’abrutissante télévision. Bref, un moyen plus facile encore de se faire de l’argent. Les banksters ayant dû faire leur deuil de Harry Potter, il était vital de trouver d’autres vaches à lait : après Twilight, au tour de Hunger Games. Ce qui distingue pourtant la saga du lot des franchises aseptisées pour adolescents, c’est le studio derrière ce montage financier. Lions Gate, société indépendante connue jusqu’à présent pour avoir commis la franchise de torture porn Saw, est loin d’avoir les épaules des holdings hollywoodiennes. Il y a comme une évidence dans l’adaptation cinématographique de Hunger Games, celle de sa propre conscience d’être une parabole. Non pas celle d’une société écran, dans laquelle tout est devenu représentation, mais celle d’un studio qui se doit de jouer le jeu d’une partie écrite par Hollywood. Lions Gate applique au blockbuster une vision auteurisante du studio, une façon de faire qu’avait déjà tenté Miramax. L’auteur est ici le business man, plutôt que le technicien-réalisateur. Hunger Games vaut ainsi autant comme représentation d’une stratégie économique agressive contre Hollywood, qu’en tant que réorientation du business plan du turbulent studio. Il n’est donc pas étonnant que le sujet du film soit celui d’une jeunesse révoltée se voulant subversive à l’égard de l’ordre établi, celui d’une caste de nantis au mode de vie baroque. Comment changer le système de l’intérieur, comment vivre dans la vulgarité ?

Les débuts furent timides, bien que le tout Paris cinéphile se gaussât du hacking filmique de Steven Soderbergh sur certaines scènes du premier volet. Malheureusement, Hunger Games souffrait d’une manque de moyens criant. L’ambition du studio et du cinéaste se heurtaient à la réalité économique. Difficile de ne pas être gênés par la description de nantis que l’on aurait juré habillés de papier crépon. Avouons-le : on aurait bien vu Terry Gilliam aux manettes du projet – il aurait trouvé là un terrain propice à un nouveau désastre. L’excellente prestation des comédiens (avec un surprenant Lenny Kravitz), ainsi qu’une direction artistique plutôt efficace, permettaient d’éprouver un peu de sympathie pour ce premier métrage. Sans doute faut-il reconnaître le travail honnête d’un maverick, Gary Ross, qui, depuis le très tendre Pleasantville, faisait presque figure de persona non grata au sein des studios hollywoodiens. Moins borderline que Gilliam, plus malléable, Ross essuyait les plâtres. Une première expérience commune de blockbuster permettait au cinéaste de flouter le caractère assurément cynique de l’entreprise, et Lions Gate parvenait à se hisser au niveau des holdings du divertissement.

On attendait donc la suite avec une certaine curiosité, une excitation enfantine et coupable, semblable à celle que l’on éprouve devant un alléchant burger. Pour signifier la dynamique du projet, et donner à ce second opus une autre dimension, les executives ont évidemment changé de technicien-réalisateur. Un budget plus conséquent, un traitement artistique plus en phase avec les tiraillements de notre héroïne, obligée de vivre avec les tyrans. Le choix de l’affligeant Francis Lawrence (Constantine) a pu générer son lot d’angoisse lovecraftienne. Étonnamment, les requins de Lions Gate ont su utiliser les réflexes rococo conditionnés déjà observés chez le tâcheron. A la sécheresse de la mise en scène du premier succède un certaine inclinaison pour les plans baroques : il faut dire que l’exubérante vulgarité des nantis a envahi le monde de Hunger Games. Une idée pas si bête, puisque tout l’enjeu du deuxième volet réside dans l’idée de camouflage, du « faire comme si ». Actrice aussi ravissante que joviale, Jennifer Lawrence plonge son personnage dans un océan de complexité, jouant la partition du pouvoir en attendant le bon moment pour prendre en main la révolte. Un espoir qui, plan après plan, semble pourtant s’éloigner. Camouflage encore, par le retour du champ de force de l’arène où les personnages sont jetés, obligés de se battre une nouvelle fois, alors qu’ils s’étaient juré qu’on ne les y reprendrait plus. Camouflage toujours, avec l’irruption bienvenue – et au moment adéquat – d’un personnage : magie du scénario bodybuldé. De là à dire que les dirigeants du studio utilisent leur blockbuster pour changer la donne à Hollywood, il n’y a qu’un pas que, pour l’heure, nous nous refusons à franchir.

On voudrait croire à cette révolution, mais à ce jeu-là, nous préférons soutenir la fratrie Wachowski qui, avec ses films, a bien mieux servi les potentialités subversives du blockbuster. On sent avec Hunger Games l’ambition de Lions Gate de se hisser vers un semblable modèle artistique et financier. Or, ce qui fait ici défaut, c’est tout simplement la sincérité. Tout est histoire de pose et de paraître, et participe finalement d’une course au profit, d’une bulle financière basée sur l’esprit de révolte qui flotte sur un certain nombre de sociétés contemporaines. On reste évidemment curieux de connaître le dénouement de cette histoire, mais il y a fort à parier que celui-ci s’avère plus proche du nihilisme cynique d’un Snowpiercer (toute révolte participe au système, les damnés de la terre ne valent pas mieux que les nantis) que de la beauté romantique d’un Cloud Atlas (toute révolte manquée participe du succès d’une révolte à venir).
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le 28 nov. 2013

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