[Remarques générales. Je n'ai pas envie de juger et noter des films que je n'ai vus qu'une fois, souvent avec peu de connaissance du contexte de production. Je note donc 5 par défaut, et 10 ou 0 en cas de coup de cœur ou si le film m'a particulièrement énervé. Je souligne plutôt les éléments qui m'ont (dé)plu, interpellé, fait réfléchir, ému, etc. Attention, tout ceci sans égard pour les spoilers !]


Il n'est pas rare qu'un film s'achève par un carton indiquant que « c'était de la fiction, mais la réalité n'est jamais loin ». I am not a witch fait exactement l'inverse, s'ouvrant sur « Les camps de sorcières existent en Afrique. Ce film est une fable. », ce que j'ai trouvé malin, et m'a plu, parce que je crois dans le procédé de parler du réel au travers d'une fiction assumée et intéressante en tant que fiction.


La fiction, c'est l'histoire d'une enfant (Maggie Mulubwa), dont on ignore le nom et qui sera plus tard (re)baptisée Shula. Shula est accusée de sorcellerie. Les indices sont peu nombreux, mais elle ne dit rien (j'ai longtemps cru qu'elle était muette, et que c'était cette différence qui cristallisait la haine contre elle), et notamment ne prononce jamais ces mots : « I am not a witch ». Officiellement accusée de sorcellerie, Shula rejoint un camp de sorcières, principalement des vieilles femmes. Les sorcières sont « au service du gouvernement » ; attachées en permanence par un ruban blanc, elles travaillent dans des champs, dans des carrières, ou, comme Shula, appelées à utiliser leurs prétendus pouvoirs pour rendre la justice ou faire tomber la pluie. Shula est menée par un officiel du gouvernement, Mr. Banda (Henry B.J. Phiri), qui espère tirer profit de cette enfant sorcière, allant jusqu'à essayer de vendre dans un show télévisé des œufs que Shula aurait rendus meilleurs pour la santé. Shula se débat, cherche à s'échapper, regrette de ne pas avoir choisi comme on le lui avait proposé de devenir une chèvre plutôt qu'une sorcière. Trop rebelle, elle est finalement tuée.


C'est un film en même temps drôle et violent ; la forme du conte va de pair avec une mise en scène assez graphique et esthétisante. Personnellement j'ai du mal à rire quant je suis trop conscient de la violence de la situation, donc c'est surtout cet aspect qui a dominé mon visionnage. J'ai tout de même trouvé quelques moments drôles, un humour absurde et évidemment assez grinçant, que ce soit la publicité pour les œufs, ou la scène dans laquelle un sorcier vient déterminer par un rituel si l'enfant est ou non une sorcière ; il prouve sa qualité de sorcier en se déshabillant comme un prestidigitateur montrant qu'il n'a rien dans les manches, et pendant le rituel Mr. Banda le trouve mou et l'exhorte à danser plus.


Au niveau du discours, qu'est-ce que je comprends du film ? Il est conçu comme un portrait de la Zambie et de l'Afrique (ambitieux !). Il en montre les systèmes d'oppression (des femmes, en particulier des enfants et des femmes âgées, par les hommes, par le gouvernement), la corruption. Ce n'est certes pas très nouveau, mais « les camps de sorcières existent en Afrique » : cela me donne l'impression que ces oppressions sont tellement omniprésentes qu'une « fable » pouvait difficilement les montrer en les grossissants, d'où une fable qui pourrait ne pas en être une, avec un sujet assez directement réel. I am not a witch montre aussi une Afrique partagée entre modernité et superstitions. À ce propos, la musique est intéressante, mêlant chants des sorcières et Vivaldi. Et j'apprécie énormément que ce tableau soit dressé avec un regard juste, sans renforcer les stéréotypes, sans rapport de domination (par exemple, dans Wrong Elements, Jonathan Littell utilise lui aussi de la musique classique, mais qui me paraît beaucoup moins justifiable). La réalisatrice, Rungano Nyoni, avait sans doute la place idéale pour traiter ainsi ces enjeux, née en Zambie, plus tard élevée au Pays de Galles, résidant désormais au Portugal. Et dans ce tableau, la dénonciation passe par l'absurdité, le grotesque des situations, absurdité que j'ai trouvée très habilement utilisée.


En guise de bilan, même si je n'ai pas été authentiquement emporté par le film sur le moment, je lui trouve de nombreuses qualités.

Rometach
5
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le 11 janv. 2018

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