Visiblement, ce film n’a pas de date de sortie et devra donc se contenter du DTV. Quand on en arrive à ne pas prendre en compte Elle Fanning au casting comme un argument suffisant pour sa distribution en salle, c’est que le monde va mal. En toute objectivité, bien entendu.
Mon idolâtrie déraisonnable pour la comédienne aura donc permis la découverte de ce petit film pas inintéressant, qui revisite à sa sauce la fin du monde.


Le personnage joué par Peter Dinkage, qui se plait à prouver l’étendue de son répertoire, est un homme seul, taiseux et méticuleux, qui applique son boulot de bibliothécaire à la ville jadis peuplée de 1600 âmes : il range, il trie, il nettoie, il enterre, fidèle à la théorie de l’entropie, effectivement l’ultime principe pouvant donner du sens puisque la fin est déjà là : ordonner, à sa mesure, le chaos.
La rencontre avec la demoisElle va donc se faire sur le principe du couple que tout sépare ; elle insuffle la vie, il lui apprend à donner du sens à ses gestes.


Cette assez longue exposition, dénuée d’enjeux narratifs, a le mérite de prendre son temps et d’installer une atmosphère en écho à l’état d’esprit du protagoniste : dans le silence, accomplir sa tâche, et trouver une forme de rédemption dans le fait d’être resté en vie par l’ordonnance de l’apocalypse. On pense de temps à autre à cette infime attention apportée au geste (la collecte des photos, le ménage) que Paul Auster a illustré dans certains de ses premiers romans, et notamment Le Voyage d’Anna Blume. L’esthétique, à renfort de lentilles singulières, déforme certaines prises de vues arrondies et floue sur les contours, et accentue cette déréalité des lieux dans lesquels tout est permis, mais plus grand-chose n’a de sens. Alors, autant grimper aux étagères et faire du headbang au ralenti dans la voiture. Lorsqu’Elle le fait, le monde a encore raison de tourner.


La cohabitation du couple mal fagoté fonctionne un temps, mais il faut bien évidemment trouver de quoi rebattre les cartes dans cette sérénité bricolée.
La suite est beaucoup moins convaincante, à coups de twists, de révélations brumeuses et la mise en place d’une quête assez formatée.


Toute l’histoire de la lobotomie et du kidnapping par ce père devenu le méchant de l’intrigue arrive de manière forcée, et semble appartenir à un autre récit : on se retrouve avec ce sentiment que peut procurer la deuxième saison d’une série qui aurait du s’en tenir à la première, et dont le renouvellement dénature par excès de variation.
Il n’empêche : cette déambulation finale sur les trottoirs de Palm Spring, où l’élite du pays vit dans l’insouciance lobotomisée le rêve américain est une image forte : moins par le regard que porte sur elle notre couple en pleine virée libératrice que par l’écho très net que la réalisatrice propose avec notre monde actuel, qui continue, dans un quotidien aveugle, à danser sur le volcan de sa future extinction.


(6.5/10)

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le 12 sept. 2019

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Sergent_Pepper

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