Sous sa douceur apparente, son élégance de chaque instant, ne nous y trompons pas, Ida est un film absolument radical.


Radical dans son traitement, qui fait fi de tout politiquement correct et ne s’embarrasse d’aucune convention. Lorsque la noirceur d’une guerre totale estompe la lumière du cadre, c’est avec fracas et sans introduction. Une fenêtre s’ouvre au son d’une musique douce pour accompagner l’ultime voyage d’un corps éteint depuis bien longtemps. Un homme à l’agonie sur son lit d’hôpital subit l’interrogatoire musclé de deux représentantes, à fleur de peau, d’une génération sacrifiée. Paweł Pawlikowski ne mâche pas ses mots, quand il les veut vifs et percutants, ils le sont.


Radical ensuite dans sa rythmique, loin de toutes les conventions qui veulent qu’aujourd’hui, pour être pris au sérieux, il convient de dépasser les 120 minutes de bobine. En effet, comment peut-on faire le tour d’un sujet audacieux si l’on ne prend pas le temps de tout expliquer à son audience ? Paweł Pawlikowski répond non sans panache ; en 1H17, tout est dit, et limpide avec ça. Un rythme impertinent qui insuffle à Ida une dynamique contrastant avec les attitudes très statiques de ses personnages. Ces derniers ont beau se contenir, ne jamais retrousser les babines, il n’en reste pas moins qu’Ida est un film habité par une violence extrême qui ne s’exprime jamais en première intention : elle est bien là, mais dissimulée dans les dialogues, dans les regards, dans les gestuelles : les mains, de la tante qui boit pour ne pas tituber notamment, hurleraient à nous crever les tympans si elles étaient dotées de la parole.


Radical aussi dans sa mise en scène jonchée de plans fixes savamment composés par une photographie d’une beauté formelle à couper le souffle. A la technique prodigieuse qui permet, à Lukasz Zal et Ryszard Lenczewski, de sculpter avec aisance la lumière, s’adjoint un fort tempérament qui s’exprime par des cadrages dont la violence s'ajoute à celle du propos. Les personnages butent contre les bords de l’image, se perdent dans des décors qui les dévorent, disparaissent quand la lumière ne veut plus d’eux. Qu’il est délicieux de voir des personnes talentueuses parvenir à exploiter à ce point tout le potentiel du format 1 :1. De nombreux plans restent en rétine comme ce premier rendez-vous complice entre une apprentie nonne et un musicien au cœur léger : magique. Pour l’amoureux des compositions rigoureuses que je suis, Ida, c’est du caviar.


Radical enfin dans son dénouement qui rabat les cartes alors qu’on pensait la messe enfin dite. De quoi nous renvoyer dans les cordes de nos convictions les plus profondes, le cœur lourd, l’âme en peine mais tous les sens en éveil.


Gros coup de coeur.


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Et pour les milliers de plans qui surbutent, c'est par ici !!
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Pour ceux que ça intéresse, un article intéressant qui explique quelques installations lumières réalisées par Lukasz Zal pour le film.

oso
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le 6 févr. 2017

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oso

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