10 ans après, mes retrouvailles avec Fatih Akin

Difficile de se positionner face à la dernière réalisation de Fatih Akin. C'est un réalisateur finalement que je connais peu, que j'ai découvert par hasard il y a 10 ans avec "De l'autre côté" qui avait été une claque immense mais un réalisateur que j'ai perdu de vue depuis.


J'étais curieux donc de le retrouver 10 ans après pour ce film traitant du terrorisme mais surtout du deuil impossible auquel doivent faire face les proches des victimes. Sujet ô combien difficile et délicat à traiter aujourd'hui mais pourtant essentiel. "De l'autre côté" était déjà en son temps un film très ancré dans notre monde contemporain : la question européenne était abordée sans détour, au-delà de la fable et de son sens si particulier du tragique et de la fatalité, c'était un film monde d'une densité extraordinaire remplie d'histoires bouleversantes entre Allemagne et Turquie (la double culture du réalisateur). Déjà pourtant la question du deuil était abordée via le personnage déchirant d'Hanna Schygulla : je n'oublierai jamais cette scène en plan fixe filmé en plongée d'un coin du plafond où elle s'effondre seule toute une nuit dans une chambre d'hôtel.


On retrouve dans "In the Fade" cette même déchirure qui traverse le personnage de Diane Kruger quand elle apprend la mort de ses deux amours : son mari et son enfant. Akin n'a pas perdu ce ton, ce sens du tragique inéluctable ; sa direction d'acteurs est toujours aussi excellente : Diane Kruger n'a sans doute jamais incarné un personnage avec autant de force et d'émotions. Pourtant, quelque chose s'est cassé au cours de ces dix dernières années...


Il y avait, c'est vrai, un côté programmatique dans le scénario inouï de De l'autre côté, ce côté programmatique, film à thèse, ne s'est pas estompé mais s'est amplifié avec "In The Fade". C'est comme si Akin s'était débarrassé de tout sens de la mesure, de la subtilité. Cela se perçoit aussi bien en terme de scénario que de de mise en scène. Les rebondissements sont soient facilement anticipés , soient carrément grossiers


(on ne croit pas une seconde par exemple au rendu du tribunal. Le seul argument permettant de douter de la culpabilité des deux néo-nazis étant cette 3ème empreinte dans le garage mais qui peut s'expliquer très facilement)


Les procédés de mise en scène flirtent eux parfois avec les limites de l'obscénité (filmer une tentative de suicide comme un spectacle : cette caméra qui plonge dans l'eau, suit le corps de Diane Kruger pour révéler in fine qu'elle vient de se tailler les veines puis qui remonte laissant le spectateur en suspens, c'est une scène vraiment indigne du talent que j'accordais à Fatih Akin.)


C'est vraiment dommage car Akin (lors des scènes de procès notamment) réussit à doser avec tact : intensité émotionnelle et suspense. Mais dans la dernière partie du film, les fautes de goûts, de nouveau, s'accumulent.


(cette scène des règles qui reviennent est à la fois maladroite et sur-signifiante et que dire de l'oiseau qui fait changer momentanément Diane Kruger dans son choix de vengeance.)


En surlignant ses intentions à de nombreuses reprises par des choix de scénario ou de mise en scène (sur le deuil impossible, sur les maux sociétaux en Allemagne, sur la question de la légitimation de la vengeance), Fatih Akin perd toute la sensibilité et la complexité qui parcourait son cinéma dans "De l'autre côté". Reste un film maladroit mais suffisamment haletant et intense pour ne pas sombrer totalement. Diane Kruger y est pour beaucoup.


NB : Malgré cette relative déception, je reste curieux de découvrir "Head on" qui m'a été fortement recommandé à de nombreuses reprises.

jack-
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le 23 janv. 2018

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