Depuis combien de temps, je ne m'étais pas marré comme ça au cinéma ? Il y a une jubilation comique, grotesque mais aussi dramatique dans le cinéma de Dumont que je ne retrouve nulle part ailleurs aujourd'hui. Bizarrement ça m'a rappelé les mêmes sensations que j'éprouvais devant les Tarantino de la grande période (jusqu'à Inglourious Basterd) alors que leurs deux cinémas n'ont pourtant pas grand chose à voir.


Toutes les coutures habituelles du cinéma traditionnel sont explosées, démesure du jeu, l'hybris dans ce qu'il peut susciter de plus vertigineux, choc des civilisations où le grotesque cache le sordide, le Mal (la grande question du cinéma de Dumont).


Dumont ose tout, désarçonne (doit on rire, être horrifié, pleuré ?)


Jusqu'à ce gag final où Machin explose comme un ballon de baudruche. Quand on le voit monter dans le ciel, la première fois, ça nous effleure l'esprit forcément et il ose le bougre, allez zou un coup de fusil ! Toute cette troupe de comédiens qui court sur la plage après cet homme-ballon et cette accolade, embrassade finale entre Van Petegem et Machin.


Voilà une image qui me restera de 2016.


Dire aussi combien la première demi heure est exceptionnelle : où va partir le film ? Enquête policière, mélodrame, burlesque, Les Vacances de M. Hulot ou Théorème ?


Théorème parce que l'étrangeté, la beauté de Billy me fait furieusement penser au visiteur du Pasolini. Il/elle agit comme un révélateur des caractères, des plus bas instincts des personnages. Sans oublier cette citation directe avec :


Valeria Bruni Tedeschi s'envolant littéralement à flanc de falaise.


"C'est un miracle" s'exclame un Lucchini méconnaissable, bossu, dégénéré et consanguin. J'ai été en revanche moins séduit par les logorrhées de Binoche qui parasitent peut être un peu certaines scènes dans la dernière partie du film.


L'autre grande influence, c'est Tati évidemment, un cinéaste qui m'est très cher. Le burlesque des deux univers est parfois proche, ce même sens du dérèglement poétique et surtout cette même idée très belle que l'oeil du spectateur soit guidé par le son à l'intérieur du plan (cf la scène de la procession par exemple). On pense aussi beaucoup à Hergé et Tintin avec les deux inspecteurs Machin et Malfoy en Dupont, Dupond, deux personnages témoins qui permettent à l'intrigue d'avancer, l'air de rien.


Même si, on comprend très vite que l'enquête policière n'intéresse que très peu Dumont. Encore moins que dans le plus brumeux P'tit Quinquin. Le film sera aussi un mélodrame, attraction de pure fascination entre deux mondes celui de Billy et celui de Ma Loute. Pour magnifier cette rencontre, Dumont utilise pour la première fois de la musique (Guillaume Lekeu, un compositeur belge de la fin du XIXème), on est dans la baie de Slack, la lumière est sublime, le décor, les couleurs, les costumes... et pourtant "on est au coeur du mal" comme dirait Carpentier dans P'tit Quinquin. Les extrémités se touchent : la beauté et la dégénérescence, le grotesque et le tragique, le gag et la solennité.

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le 25 mai 2016

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