Les racines. Pour certains, elles relèvent de l'obsession. Il y a ceux qui s'identifient uniquement à travers ce prisme, se construisant autour de cette singularité, s'y repliant de façon ostentatoire. De l'autre côté, il y a ceux qui en sont les inquisiteurs, questionnant sur les origines de leurs interlocuteurs afin de les mettre dans de petites boîtes, biens distinctes, rangées les unes à côté des autres mais à jamais séparées, ne se satisfaisant pas d'une réponse qui ne correspondrait pas à la couleur de peau ou à la consonance du nom. Fort heureusement (tout du moins je l'espère) ces deux catégories de personnes sont loin de représenter la majorité.


Dans Incendies, des jumeaux québécois, Jeanne et Simon, se retrouvent moralement contraints de partir à la recherche de leurs origines suite au décès de leur mère. Le notaire en charge de la succession leur donne en effet deux lettres : l'une pour leur père qu'ils n'ont jamais connu et l'autre pour leur frère dont il ne connaissait pas l'existence. De ceci découlera une longue quête sur leurs origines en partant à la découverte de l'histoire du passé de leur mère.


Jouissant aujourd'hui d'une immense renommée, le réalisateur Denis Villeneuve était en 2010 un grand inconnu en Europe ; son précédent film, Polytechnique, n'ayant pas été distribué en dehors du Canada. Incendies le révélera aussi bien en France qu'aux États-Unis où il sera nominé aux Oscars du meilleur film en langue étrangère et engrangera à travers le monde plus de 16 millions de dollars au box-office.


Le pays du Moyen-Orient où se déroule l'histoire n'est jamais explicitement cité, même si le contexte de guerre entre chrétien et musulmans au cours des années 70 fait fortement suspecté le Liban. Cette guerre, le réalisateur ne la nomme pas, ne la juge pas. C'est la guerre dans toute son horreur où les représailles s'enchainent, gagnant en force et en violence à chaque tour, enflant jusqu'à en crever. Le conflit n'est pas une simple toile de fond. Il s'agit aussi bien du fond que de la forme de cette saga familiale, de cette recherche des origines.


Côté acteurs, Denis Villeneuve donne la part belle aux femmes, leur donnant une cruelle et splendide épaisseur. La mère, Nawal Marwan, est interprétée par une actrice belge, Lubna Azabal, beauté froide à la mâchoire saillante et au regard pénétrant. À noter, l'excellente interprétation de l'actrice Mélissa Désormeaux-Poulin jouant la fille, Jeanne, qui n'a cependant pas réussi à percer dans le milieu du cinéma par la suite.


Inspiré de la pièce de théâtre éponyme de Wajdi Mouawad, Incendies est un méli-mélo d'époques et de lieux. Naviguant à travers différents niveaux de flashbacks, son réalisateur, Denis Villeneuve, s'appuie sur un scénario en béton où le fil narratif ne souffre d'aucune faiblesse. De cette constance naîtra un monstre scénaristique, un twist final glauque et épique parvenant à défier les règles élémentaires en mathématiques et nous enseigner que 1+1 peut être égal à 1.

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le 4 mars 2019

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Vincent Ruozzi

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