Vision trop réaliste des rêves

Rien à redire sur la beauté de la réalisation et la richesse de l'intrigue. On se laisse captiver par l'histoire et c'est sans doute l'essentiel. En revanche, l'univers du rêve est traité de façon aberrante. Selon le scénario, le rêve serait composé d'un contenant, nommé "architecture", totalement indépendant d'un contenu : les personnages nommés "projections". Et à partir de ces deux éléments, contenant et contenu, on peut manipuler une histoire à volonté. A la façon d'un film, finalement. Le contenant serait juste un décor hollywoodien, dans lequel évolueraient les "projections".

Le scénariste a-t-il déjà fait attention à ses rêves ? Si j'examine les miens, j'ai plutôt l'impression que le décor, les personnages - et l'histoire ! - forment un tout. Pourquoi le décor ne serait pas une projection ? Et l'histoire ? En fait, cette séparation entre ces éléments du rêves est arbitraire. Tout le rêve est une "projection" du subconscient. L'histoire est liée aux personnages et au décor. Généralement, rien n'est réaliste, et surtout rien n'est stable. Le décor est souvent confus, changeant, partiel. Le Moi, d'ailleurs, n'est pas toujours fixé sur un personnage en particulier, il peut être diffus à travers tout le rêve. Je ne vois pas comment autrui pourrait s'introduire dans cette divagation générale de l'esprit, qui est forcément intime, éminemment personnelle. Et donc, lorsqu'on s'intéresse un peu aux rêves, on ne peut être que déçu en regardant ce film qui n'aborde jamais l'univers des rêves tel qu'on les connaît.

On peut regretter aussi que systématiquement les "projections" se manifestent en utilisant des armes à feu, à la façon de n'importe quel banal film hollywoodien à baston. Dans mes rêves, il est assez rare que mes "projections" utilisent des flingues. ça arrive, mais ça n'a rien de central ni de systématique comme on le voit ici. Et donc, au lieu de traiter le monde des rêves, on se retrouve en présence de nouvelles scènes de flingage sans intérêt.

Autre point arbitraire : quand on se fait flinguer, on se réveille, selon ce film. J'ai pourtant en souvenir nombre de rêves où des "projections" me "tuent" en vain, car ça ne me fait rien, et le rêve continue. Bizarre, cette vision hyper réaliste des rêves, à l'opposé de l'univers onirique auquel nous sommes tous habitués. Tout est trop réaliste, finalement, dans les rêves de Nolan. Par exemple, ce personnage blessé à mort, dont la blessure évolue tout au long du rêve exactement comme dans la réalité, voilà un réalisme très loufoque ! Car dans mes rêves, ce personnage se relèverait, et repartirait bon pied bon oeil, et même pas mal !

Mais à part ça, c'est un très beau film, très plaisant à regarder, certes, rien à dire...

Juste une invraisemblance quand même ennuyeuse : à la fin, à quel moment retire-t-on le matériel branché sur Fischer, la "cible", pour qu'il ne s'aperçoive pas, à son réveil, de la machination ? Et qui s'en charge ? Il me semble que ce problème assez embarrassant a été occulté.

Et une scène détestable : l'embauche du faussaire, Eames. On ne sait pas où se situe la séquence. On voit des Africains, des Orientaux, mélangés, dans une ville indéfinie. Un peu comme dans Indiana Jones, on retrouve des Américains en train de se sortir héroïquement - on ne sait pas trop pourquoi, d'ailleurs - d'une scène de poursuite totalement invraisemblable à travers les souks d'une ville du Tiers-Monde, quelque part entre le Congo et le Pakistan. Cet espèce de cliché inutilement néo-colonialiste, qui ne fait aucune différence entre des cultures très éloignées, et les agglomère comme si c'était globalement la même chose, a de quoi énerver. On sent la condescendance insupportable de l'Américain sur le monde qui l'entoure.