Christopher Nolan, le dream maker
Genre : Rêves en boîte
Les Rapetou (die Panzerknacker en allemand, juste pour l'anecdote) y avaient déjà songé sous la plume de Keno Don Rosa : s'introduire dans les rêves de Picsou pour lui subtiliser la combinaison de son coffre-fort. Inception repose sur le même concept. On peut soutirer des informations à une personne en s'incrustant dans ses rêves ou, mieux encore, la manipuler en faisant germer une idée en elle.
Christopher Nolan améliore ce point de départ en imaginant plusieurs niveaux de rêve. Lorsqu'on dort dans un songe, on peut rêver à nouveau, et ainsi de suite. Cette vertigineuse mise en abyme pourrait vite tourner au grand n'importe quoi mais le réalisateur reste précis et méthodique. Les règles qui ont cours dans les bras de Morphée sont claires et le mode d'emploi est donné et redonné explicitement.
On pourrait s'étendre des heures sur la grande qualité visuelle et esthétique d'Inception, sur les effets spéciaux renversants, sur le montage millimétré des courses-poursuites. Particulièrement réussie, la scène de projection des objets dans Paris évoque l'explosion du Zabriskie Point d'Antonioni. D'autres plans, d'autres séquences du film, ainsi que le rôle de Leonardo DiCaprio – qui est bon –, rappellent furieusement Shutter Island. Ces trois œuvres partagent un point commun : leur ambiguïté finale.
Comme dans Memento, Christopher Nolan joue brillamment avec les attentes du spectateur. Il nous prend par la main mais, contrairement à nombre de ses confrères, ne va pas jusqu'au bout de la route, et nous abandonne au carrefour des interprétations possibles (voir à ce sujet la très bonne critique d'Artificier).
Malheureusement, certains défauts empêchent le film d'être le chef-d'œuvre tant attendu. Christopher Nolan tente de rationnaliser le rêve, entreprise vaine par essence. A force de rendre les songes plus vrais que nature, Inception atteint un sommet presque chiant : la prise d'assaut à la James Bond et avec force défouraillages d'une base de haute montagne. On finit par croire que cette imbrication de rêves n'est qu'un prétexte pour démultiplier à l'infini le potentiel d'un simple film d'action. Les mêmes personnages peuvent combattre simultanément dans plusieurs niveaux différents, ce qui permet d'envoyer des mitraillages en veux-tu en voilà, et ça devient très vite lassant.
Ces rêves de film d'action sont maîtrisés, contrôlés, voire aseptisés. Le seul élément surréaliste (et imprévu) réside dans l'apparition d'un train en pleine rue dans le (premier) étage de songe. On est quand même dans des rêves (bordel), on était en droit d'attendre davantage de trucs déjantés. Par ailleurs, en se concentrant froidement sur la logique du scénario et en multipliant les imbrications, les personnages et leur psychologie s'en trouvent particulièrement dissous, et les acteurs ne peuvent s'exprimer pleinement.
Si elle est moins navrante que dans Public Enemies de Michael Mann, la performance de Marion Cotillard n'est toujours pas à la hauteur. Mais Christopher Nolan réalise la prouesse – à dessein ? – de justifier scénaristiquement la fadeur de la prestation de son actrice française. Je m'explique. A un moment, Cobb (Léonardo DiCaprio) dit à son épouse Mall (Marion Cotillard) qu'elle n'existe que dans son esprit, et qu'elle n'est plus aussi parfaite qu'elle ne l'était dans la réalité. Deux hypothèses se présentent alors. Soit Marion Cotillard prend son rôle de projection affadie très à cœur, et joue volontairement mal, ce que je ne crois pas. Soit Marion Cotillard joue mal, ce qui n'est pas grave car elle n'interprète jamais qu'une image, dans les rêves ou les souvenirs de Cobb. Quant à la référence à La Môme, elle est aussi subtile qu'un triple clin d'œil des deux yeux.
Inception reste un excellent film. Sa force est aussi son défaut : il est rationnel, maîtrisé, calculé, d'une logique implacable presque mathématique. Christopher Nolan y élabore des rêves industriels, pas des rêves idéaux.