Quentin Tarantino en a conscience en le faisant et l'annonce au spectateurs par les métalepses de Goebbels, Hitler, Zoller ou encore Aldo Raine: ce film est son ultime chef-d'oeuvre et restera sans doute indépassable.


Tarantino signe avec Inglorious Basterds un remake d'un film de 1978 du réalisateur italien Enzo Castellari qui se double d'un parfait et délirant pendant maléfique du Joyeux Noël de Carion. Là où Carion montre en 14-18 l'homme sous l'angle du bon sentiment, taclant avec ironie les incongruités de la guerre, Tarantino montre en 1944 un homme essentiellement mauvais et qui l'assume jusqu'à se laisser aller à ses bonnes faiblesses.


En témoignent le patriote général allemand interprété par Richard Sammel, tué par la folie vengeresse et absurde des Basterds, et l'excellent Christoph Waltz, jusqu'ici connu uniquement des inconditionnels de Rex (où il joue entre autre un tueur psychopathe vendeur de poupées digne de Norman Bates) ou de Derrick, qui campe le Colonel Hans Landa, sadique "Chasseur de juif" qui est considéré à tort comme un simple nazi tueur de juif. Tous les indices convergent en réalité vers le mot "chasseur" dont il possède l'instinct: plaisir de la piste, de la traque que lui procurent l'escarpin perdu par Briget Von Hammersmark, une actrice allemande au service des alliés, ou la fuite de Shoshanna Dreyfus, une jeune fille juive dont il a tué toute la famillle. Tarantino s'attache à peindre un personnage qui se délecte, sa proie prise au piège - quelque soit l'origine et le camp supposé - à la faire s'enfoncer, se troubler, s'énerver et se perdre. C'est le cas de plusieurs scènes telles que l'hypothétique agnition de Soshanna par Landa dans un café parisien - un bijou de sadisme et de suspens - qui s'achève sur les pleurs incontrôlables de la jeune femme, de la révélation du statut d'agent double de Von Hammersmark détournant avec délice le conte de Cendrillon où Landa s'amuse à faire rechercher par la coupable la preuve qui la condamne ou encore l'hilarante scène où Landa - ayant reconnu les Basterds qui se font passer pour des cinéastes italiens - s'amuse à leur parler et à les faire parler vaille que vaille la langue de Dante qu'ils ne maîtrisent pas mais que lui maîtrise.


Waltz, définitive vedette et mascotte de ce film de génie fait montre de ses talents de polyglottes avec une aisance à couper le souffle mais souligne également ainsi l'aisance avec laquelle ce film fait passer le spectateur d'une langue à l'autre et de cette façon d'une culture à l'autre. Les passages en allemand bénéficie du concours peu contournable de Tom Tvyker (Le Parfum, Cours Lola cours!).
La langue n'est pas seulement un prétexte ici, elle est un agent de l'action permettant de créer de purs apartés langagiers comme au début du film ou de piéger des personnages comme celui du britannique Fassbender qui parle le parfait allemand de son interprète mais dans un accent inédit qui éveille les soupçons des nazis.


C'est aussi un film à références tel que seuls Tarantino et Burton savent les faire où tout est susceptible d'une double-lecture: la musique de western de Morricone allant de paire avec les scènes d'embuscades ou la référence initiale à l'entrée de Van Cleef dans Le Bon, la brute et le truand; les polars des années 50 pastichés avec classe par le couple Laurent-Ido; Fassbender en Sean Connery dans une drôlatique imitation de James Bond face à un M peu conventionnel - à savoir le Mike Myers d'Austin Powers ; ainsi que des références nombreuses, érudites et variées au cinéma franco-allemand des années 30-40 via une flopée d'affiches mais aussi la présence des deux vedettes du célèbre Ange bleu de Sternberg à savoir Emil Jannings, relativement bien reconstitué, et Marlène Dietrich représentée par le personnage autrement nommé de Diane Krueger.


Ce qui m'amène à l'impensable casting de ce film qui défie celui de Carion et le reste de la carrière de Tarantino et rivalise avec ceux des films d'Anakin et Clément: Le Jour le plus long et Paris brûle-t-il.
Outre Waltz, dont on ne saluera jamais assez la maestria dans ce film, *Inglorious Basterd*s doit son succès du côté français à Denis Ménochet, poignant, Léa Seydoux, trop brève, Jacky Ido (Taxi Brooklyn), André Penvern, un peu perdu, Julie Dreyfus (Kill Bill) en irritante interprète collaboratrice et Mélanie Laurant, sublime en juive vengeresse qui laisse le spectateur sur son immense visage sur pellicule ricanant de façon satanique au milieu des flammes de son attentat anti-nazi, devenant probablement leur égale dans ce four crématoire d'un genre douteux mais diablement vindicatif; du côté allemand à Richard Sammel, allemand devant l'éternel d' OSS117 à Casino Royale, Diane Krueger en excellente imitation de Marlène Dietrich, Daniel Brühl qui parle plus français qu'allemand mais de façon impeccable, Til Schweiger, plus connu pour des rôles à l'américaine comme le héros de Far Cry ou le Lucky Luke d'Eric et Ramzy et fidèle à cette image, Gedeon Burkhard, vedette des séries Rex et Alerte Cobra, Sylvester Groth, désormais roué au rôle de Goebbels qu'il tient déjà dans Mein Führer; côté américain, outre Samuel L. Jackson et Harvey Keitel, des habitués de Tarantino ici purement vocaux, Brad Pitt original en Aldo l'Appache, fils d'indiens à la moue américaine volontairement ridicule et à l'accent sur-exagéré et Eli Roth aussi brutal et sanglant que dans ses propres films d'horreur; côté anglais, Michael Fassbender et Mike Myers aux côtés de l'australien Rod Taylor.


Inglorious Basterds c'est aussi trois films: le véritable film et les deux faux-films intégrés, celui de Shoshanna Dreyfus, qui n'existe que dans le film de Tarantino et celui de Goebbels, La Fierté de la Nation,mettant en scène Zoller, qui existe réellement, tourné et mis en scène pour l'occasion par Eli Roth, mettant en scène Daniel Brühl et parodiant avec fougue les films de propagande d'époque.


Il ressort de cette folle farandole un plaisir aux facettes multiples, long de deux heures vingt-six minutes mais semblant bien plus court, organisé en quatre chapitres suivant la méthode de Kill Bill.
On ressort de ce film l'esprit détendu, ayant frissonné, pleuré et surtout beaucoup ri, le désir ardant de parler aussi bien le français, l'allemand, l'anglais, l'américain et l'italien.

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le 28 août 2014

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Frenhofer

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