Né à Studio City dans la vallée de San Fernando, Paul Thomas Anderson n’étudie pas le cinéma. Il apprend sur le tas en débutant dans la production télévisuelle. De réputation, on le dit impétueux et égocentrique. Sharon Waxman le confirme dans sa biographie Les Six Samouraïs : Hollywood somnolait, ils l’ont réveillé !. Lorsqu’il se concentre sur son travail de réalisation, il lui arrive d’être colérique, abusif et d’insulter copieusement tout le monde. Toutefois, cela ne l’empêche aucunement de jouir d’une imagination débordante, d’une originalité folle et d’une assurance incroyable. Bien au contraire.
Aujourd’hui considéré en esthète, il a obtenu la reconnaissance de ses pairs grâce à des œuvres telles que Magnolia, Boogie Nights ou encore There Will Be Blood. La plupart d’entre elles se déroulent dans l’État de Californie, plus précisément à Los Angeles, la cité des anges et du cinéma.


Adaptation du roman homonyme de Thomas Pynchon, Inherent Vice est son septième long métrage. C’est celui-là même qui va nous intéresser.



Sous l'emprise de substances



Los Angeles. 1970. Inherent Vice démarre sur les chapeaux de roues. Le privé Larry “Doc” Sportello, interprété par Joaquin Phoenix, est visité par son ex-petite amie, la charmante Shasta Fay Hepworth (Katherine Waterston). Cette dernière n’est pas venue pour le reconquérir mais pour lui confier une enquête d’apparence classique. Son nouvel amant, le magnat de l’immobilier Mickey Wolfmann (Eric Roberts), a mystérieusement disparu. Son épouse (Serena Scott Thomas), est accusée de l’avoir fait kidnapper et interner dans un asile psychiatrique afin de l’éloigner de son immense fortune. Mais la vérité est autrement plus complexe.
Dans ce polar vintage, est jouée la carte des intrigues parallèles et des destins croisés. Le détective mène plusieurs enquêtes à la fois, enquêtes qui, inévitablement, finiront par se croiser et se recroiser, s’entrechoquer dans un vacarme assourdissant. Les lieux et les situations s’enchaînent. Les personnages se multiplient. Paul Thomas Anderson avait déjà officié dans le film choral en 1999, avec son Magnolia.


La critique n’a pas manqué de saluer la performance de Joaquin Phoenix. Surprenante, elle provoque le rire autant qu’elle impressionne, sans trop effacer celle de ses camarades. En effet, tous les protagonistes ont leur importance et sont interprétés avec beaucoup de justesse. Parmi eux, chacun aura son petit chouchou. Moi-même, j’avoue avoir un faible pour le lieutenant Christian « Bigfoot » Bjornsen, campé par le grincheux Josh Brolin. Ses fureurs énergumènes envers Sportello sont jubilatoires.
Mais Bigfoot ne sera pas l’unique adversaire de Sportello. Ce dernier se frottera aux truands, aux narcotrafiquants de Los Angeles, ainsi qu’aux membres d’une secte dont la couverture se trouve être un syndicat de dentistes. Sentez d’ici les effluves amères des drogues douces et les relents âpres des alcools forts qui ont, sans doute, inspiré l’écriture du roman d’origine et son adaptation sur grand écran.



Faux-semblants



Je n’ai pas le marketing en horreur mais force est de constater que derrière sa distribution féroce, Inherent Vice cache bien son jeu. Tombez son esthétique vintage et son humour décapant, il ne lui restera que dialogues inutilement longs et intrigue sibylline. Avec ça, j’ai la nette impression qu’Anderson cherche à enfumer le spectateur. Adapter le roman touffu de Pynchon est pour lui prétexte à déployer son impressionnant casting dans un Los Angeles polychrome, sans réelle ambition, si ce n’est d’y perdre le spectateur. Vertige ? Esbroufe. Le polar se désagrège aux battements des cœurs hallucinés.


Jonhatan Lambert (à l’affiche de Réalité par Quentin Dupieux) disait : « Plus c’est fou, plus c’est original, plus c’est dingue… plus il faut que ce soit construit ». Le grand mal dont souffre Inherent Vice c’est justement de ne pas l’être. À mon sens, il est un genre de labyrinthe changeant, un dédale maudit dans lequel quiconque n’a pas le sens de l’orientation est voué à se perdre. Un kaléidoscope désenchanté de l’Amérique post-psychédélique, porté par ses acteurs au détriment de son scénario.
De plus, la réalisation ne vient pas relever le niveau. Quelques plans-séquences par-ci, quelques ralentis par-là. Seule cette pellicule chamarrée donne du relief aux subversions d’un autre âge : la drogue, le sexe et l’alcool. Dieu sait qu’en ces heures sombres, le cœur de l’Homme a besoin de couleur, de chaleur et de joie. Devant le petit ou le grand écran, il y a toujours un film à voir. Qu'il prenne seulement garde à ne pas s'endormir devant.


Au final, j’attendais beaucoup de cet Inherent Vice. Déjà parce que c’est mon premier Paul Thomas Anderson. Mais aussi parce que j’ai tendance à fantasmer la vieille Amérique et ses lubies idéalistes. En lieu et place d’un bon vieux thriller des seventies, j’ai visionné un polar mal ficelé, ennuyeux, décevant. Un point noir dans la carrière d’Anderson. À éviter si l’on préfère les histoires claires aux hallucinations filmées.


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le 26 mars 2015

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AnarchikHead

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