Ecrire sur Inherent Vice est très compliqué. L'idée même du livre éponyme de Thomas Pynchon est de faire rentrer le lecteur dans l'univers d'un hippie complètement drogué, notre compréhension en est donc sciemment réduite. Seul la narratrice, Sortilège, nous aide à retrouver notre chemin dans une narration enfumée, ce qui est le premier coup de génie de Paul Thomas Anderson. Comment analyser ce film autrement que par des émotions dans ce cas?


Larry "Doc" Sportello est un homme beaucoup plus complexe que le laisse penser son emballage de "little hippie". Privé renommé dans certains milieux particuliers, homme intelligent et grand romantique, Doc est un homme aux multiples facettes avec, en plus, un sens de la justice, qui, nous le verrons, à ces limites. Inherent Vice le place au centre d'un trafic de drogue à grande échelle et le confronte aux hommes les plus puissants du Los Angeles des années 1970. Mais c'est une histoire d'amour qui est au centre du sujet, et c'est par amour que Doc enquêtera et risquera sa vie, plus qu'une romance, une passion, pour Shasta Fay Hepworth.


L'amour serait donc le point central d'Inherent Vice? En tout cas, c'est ainsi que le film est vendu, et si l'on devait le résumer pour un ami on placerait certainement cette romance en tant qu'intrigue principal. Mon avis est que ce n'est que la surface d'une oeuvre à la profondeur immense. Attention, je ne dis pas non plus que ce n'est qu'un prétexte, mais Inherent Vice raconte autre chose, pour moi de beaucoup plus important. Qu'est-ce qui me fait dire ça? Observons la manière dont l'histoire avec Shasta se déroule : elle déboule chez Doc au début du film et lui fait comprendre qu'elle a des problèmes avec un certain Mickey Wolfman. Nous ne la reverrons pas avant le troisième quart du film quand elle revient chez Doc après que celui-ci est enquêté sur sa disparition pendant tout ce temps, à ce moment là, elle allumera littéralement Doc dans une scène d'une rare sensualité au cinéma avant qu'une relation sexuelle courte, sauvage, rendu ridicule par tant d'attente, de monté en tension, et d’idéalisation de leur relation amoureuse dans les deux flash-backs qui les montrent, elle et Doc. Une belle romance donc, plus terre à terre et réelle que la plupart de celle que l'on voit au cinéma, mais qui n'en a pas plus à raconté que ce que l'on comprend. Car Doc et Sortilège connaisse cette histoire qui semble remonter à loin et qui est au centre de l'esprit du personnage joué par Phoenix. C'est limpide pour lui? Alors ça l'est pour nous. Voilà le principe du film!


Si l'amour est le centre du film, il n'en est pas l'enjeu. Alors quel est-il? Essayons de décrypter le titre de Anderson, Inherent Vice, Vice Caché en Français. Déjà, de quel vice parle-t-il? Au premier abord, on peut penser qu'il s'agit seulement d'une référence au crocs d'or, le bateau à la triste réputation, car l'ami de Doc, joué par Benicio del Toro, lui explique que c'est une expression courante dans le droit maritime. Ce n'est pourtant pas le bateau qui est porteur du Vice mais bien Shasta qui va le transmettre à Mickey Wolfman qui en parle comme des idées de hippie lorsque Doc le rencontre dans un centre de désintox. Ce n'est pas aussi simple. Il existe un contexte qui rend se "Vice" beaucoup plus lourd en conséquence, conséquence que ni Doc, ni Shasta n'ont les moyens de comprendre. L'enjeu se situe là.


Seulement avant d'en parler, je suis obligé de rapidement revenir sur l'esthétique du film. Sans surprise, c'est magnifique. Que se soit le plan d'ouverture où un étroit passage entre les habitations nous amène à l'infini de la mer, ou la scène final montrant en gros plan Doc et Shasta réuni sous la tôle de la voiture de Doc dans la nuit californienne. Mais pour illustrer les propos qui vont suivre, une séquence me semble toute choisie. Doc est dans une voiture et se dirige vers un bungalow au milieu de ce qui semble être une partie du désert californien transformé en terrain construire, et passe entre des motards de la fraternité Aryenne. C'est complètement absurde et pourtant lorsqu'il sort de la voiture et se dirige vers l'escaliers du bungalow sur la musique de Jonny Greenwood Under the paving-stone, the Beach! la poésie nous emporte. Doc monte la moitié de l'escalier se retourne et nous pouvons admirer le paysage en même temps que lui. Puis il rentre dans le bungalow (qui est un bordel) et la narration légère reprend sa place.


Le Vice caché donc! Il est enfaîte le symbole d'un monde en mouvement à cette époque. Les derniers remparts qui font que les puissants n'acculent pas complètement les plus faibles sont entrains de tomber. Les mentalités changent, sont rasées à l'image du paysage californien. Doc limité par son tempérament et son peu de recule demande même, à la fin, si justice a été faite et son ami lui répond que oui. Si Doc ce satisfait de la réponse, nous ne le pouvons car nous apprenons que Wolfman a repris ses activités , certes, légales mais qui marquent la défaite de tous les mouvements anti-libéraux des Etats-Unis. Mickey s'est donc débarrassé du Vice et ne désire plus être en contacte avec sa porteuse. Doc, de par son essence même n'en a que faire et est juste heureux de retrouver Shasta.


Si le Jordan Belfort de Scorsese est l'apogée du mouvement victorieux opposé aux personnes comme Doc et Shasta, Wolfman en est l'aube.


OO

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le 20 avr. 2015

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Nicolas Garcia

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