J’aime le cinéma de Paul Thomas Anderson. J’ai découvert le réalisateur avec There Will be Blood. Le film m’a décontenancé. Il était très long et n’était pas structuré et ne se déroulait pas de la façon habituelle des films de cinéma, et pourtant, j’ai été captivé de bout en bout, et sans comprendre pourquoi, j’ai compris que j’étais face à un Grand film avec un grand G.


Puis est venu Magnolia qui m’a bouleversé et est un des films qui m’a rencontré en tant que spectateur, comme si je rencontrais un film parfait dans la rue (c’est à dire qu’il n’est pas parfait, mais que le coup de foudre est immédiat, et que sans réfléchir, on à l’impression de connaître pas cœur la personne en face de soi). Depuis, j’ai vu ses autres films (sauf Boogie Nights que je garde pour une bonne occasion).


Si on devait diviser les films d’auteurs en deux sortes, je dirais qu’il y a les films visuels, et les films intellectuels. Les films intellectuels passent beaucoup par la parole, et demandent au spectateur de s’impliquer dans le propos du film, de s’engager vis à vis de celui-là pour comprendre et peser le message. Les films visuels feraient davantage appel aux sens. ils demanderaient de s’immerger dans le monde de bruit, de couleur, d’image, de voix qu’on nous propose et de les sentir pour comprendre les émotions que veut nous faire passer le film.


Les films de Paul Thomas Anderson rentrent à 100% dans cette deuxième catégorie. Même s’ils se passent dans des époques américaines très précises et très détaillées, la priorité est donnée aux personnages et à la façon dont ils perçoivent et évoluent dans un environnement complexe. Magnolia en est le meilleur exemple, où l’on passe d’un personnage à 8 autres, chacun ayant ses propres environnement et ses propres difficultés, qui leur font voir le monde différemment. Punch Drunk Love en est un autre exemple, où on suit un homme mal dans sa peau au rythme stressant de ses journées, alors que les environnements sont tout à fait neutres. Enfin, The Master était un bel exemple de reconstitution exotique, mais où tout ce qu’on nous montre se réduit en fait au seul personnage perdu de Freddie et à sa relation admirative avec le prédicateur Lancaster Dodd.


Dans ces films, le contexte est minutieusement détaillé, dans les décors, mais aussi dans les couleurs, les bruits et les caractères des personnages. Mais ce qui compte, c’est le point de vue des personnages principaux qui y évoluent. Ce sont généralement des personnages un peu perdus et décalés dans un monde un peu perdu et décalé. On ne sait pas toujours ce qu’il s’y passe, mais la caméra de Paul Thomas Anderson nous permet de suivre, se sentir, de réagir au plus proche du personnage les situations qui lui arrivent.


Inherent Vice fonctionne de la même manière. On a une Amérique de l’époque hippie minutieusement composée, une belle brochette d’acteurs, et une structure proche du film noir (l’inspecteur anti-héros, mais avec un code d’honneur, les personnages troubles, la femme fatale qui le fait continuer son enquête, etc). On s’attend à ce que l’histoire se déroule comme un policier classique. Sauf que tous les codes du policiers classiques sont transformés par la vision du flic, Doc Sportello. Il est sous acide, c’est vrai, mais il est surtout fasciné par une fille qui l’a marqué, et décontenancé par le monde qui l’entoure et qui semble comploter contre le monde relax des hippies.


Dès lors, son enquête est plus un voyage initiative qui l’amène d’un personnage à un autre, tous plus barrés les uns que les autres, chacun avec son style, sa voix, sa musique. Inherent Vice est déconcertant parce qu’il n’a pas de structure fixe. Le détective ne sait pas vraiment ce qu’il fait, ni ce qu’il va trouver, les personnages autour de lui ne l’aident pas, et au final, l’intrigue se résout d’elle même (la fille revient, et les histoires de drogues se règlent assez facilement en fin de compte).


Alors pourquoi nous raconter tout ça ? Peut-être pour nous montrer que à l’époque des hippies, des riches trafiquants de drogues, des systèmes policiers, des indics et des drogués qui se font manipulés, il n’y a pas grande chose qu’une seule personne puisse faire. Il peut chercher, mais au final, la question est simplement s’il va trouver sa place. C’est la même question qui est posée dans tous les films de Paul Thomas Anderson : le chercheur de pétrole va-t-il trouver sa place dans l’empire implacable qu’il construit, malgré la religion, ses concurrents et sa famille ? Le vétéran de la guerre en mal d’idéal va-t-il trouver ce qu’il veut dans une secte, ou va-t-il réussir à se construire lui même ?


Ce sont souvent des non réponses que l’on a dans ces films, et au final, on s’en fiche un peu. Ce qui compte, c’est ce bout de voyage qu’on a fait avec un héros un peu pommé, dans un monde saturé de bruits, de musiques, de personnages hauts en couleur, de décors plus vrais que nature, et de dialogue portés par des voix envoutantes.


Du coup, je comprends très bien qu’on puisse ne pas aimer les films de Paul Thomas Anderson, surtout si on y cherche un message quelconque caché, un schéma cohérent, une reconstitution historiques ou si l’on n’aime pas l’ambiance qu’on nous propose. Pour autant, le cinéma de Paul Thomas est très maîtrisé, que ce soit dans la réalisation, le parcours du personnage et les personnages annexes qui sont dessinés. Sauf qu’il brouille les pistes pour le spectateur qui ne doit pas s’identifier au personnage principal, mais se laisser porter à ses cotés.


Est-ce que j’ai aimé Inhérent Vice ? Je n’ai pas vraiment accroché à l’histoire, et le monde des hippies ne m’intéresse pas plus que ça (le livre doit apporter plus de choses de ce coté). Mais c’était un réel plaisir de se laisser aller dans la narration de ce film, dans sa musique, ses acteurs, son coté décalé, sa poésie et ses trips sous acides. C’était une vraie expérience de cinéma qui fait qu’on s’oublie en tant que spectateur, qu’on se fiche de comprendre qui fait quoi dans ce monde complexe de trafiquants, mais qu’on a du plaisir à se laisser guider par ce genre étrange. On y comprend ce qu’on veut, ou on peut juste admirer le paysage, la qualité de la réalisation et ce que les personnages font sous nos yeux.


En bref, j’aime le cinéma de Paul Thomas Anderson.

Ytterbium
7
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le 27 avr. 2015

Critique lue 584 fois

Ytterbium

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