Difficile de donner une note à ce film, tant il est hors compétition. Bien sûr, ce serait une erreur de se contenter de se dire "c'est une œuvre à part" et ainsi désarmer trop facilement toute critique qu'on puisse lui faire. D'où vient toutefois cette difficulté ? Sans doute du fait qu'il ne s'agit pas d'un "film" au sens commun où on l'entend, mais plutôt d'un conglomérat d'expérimentations.

Fidèle à lui même, David Lynch se contente de suivre un canevas (lui même mis à mal tout au long du tournage) et laisse une grande place à l'improvisation, aux décisions de dernières minutes. Si le film garde une unité, ce n'est ni dans sa narration, ni dans son identité esthétique (il en a plusieurs)... Cette unité, c'est David Lynch. Il nous emporte dans son monde, qui a ses propres règles et ses propres critères de beauté, mais aussi de terreur. Je pense qu'il est fortement conseillé de voir ses autres films avant de se lancer dans cette expérience ci.

Ce film est d'abord et surtout la rencontre de Lynch avec une matière naissante à l'époque : le cinéma numérique (il a en effet fallu un certain nombre d'années pour qu'il s'ancre définitivement dans le milieu professionnel). Et forcé de constater qu'il s'est approprié cette matière comme un enfant découvre un objet insolite : il le dissèque, le met à mal, le fait tomber, quitte à le briser pour mieux le trafiquer derrière... Jusqu'à épuisement de la matière, et du Lynch. Pas étonnant qu'il soit resté autant d'années sans faire le moindre film (je suis bien curieux de voir ce qu'il a encore trouvé à nous faire subir pour le prochain...).

Décousu, assumé et entier, à défaut d'être très exploitable, ce film marque sans hésiter une grande ligne de mon histoire du cinéma. Alors, quitte à mettre une note, autant qu'elle soit à la hauteur de la radicalité de cet homme.


EDIT :
Autre unité à noter, sorte de caractère esthétique de ce film, est la place et le traitement du corps de Laura Dern. Mettre à mal la chair, Lynch a toujours aimé ça. Mais au moment où il s'essaie au tout-numérique, à la dématérialisation absolue (là on la pellicule fonctionne sur un procédé chimique), la question devient d'autant plus cruciale, vitale. Ce qui me faire tardivement penser que ce film, c'est l'histoire de la survie d'un corps face aux méchants pixels.
L'actrice est-elle encore incarnée, vivante dans ces conditions ? Où devient-elle un simple objet de sit-com, qu'on pourrait tout aussi bien remplacer par un lapin (à bons entendeurs…) ? Rien d'étonnant donc dans le fait que le "scénario" tourne autour d'une comédienne qui tente de retrouver le succès à Hollywood, lieu sans pareil si l'on veut être réduit à de la chair à canon, finissant dans la rue dès qu'on devient impopulaire.
Galderon
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Créée

le 18 juin 2013

Modifiée

le 7 févr. 2014

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Galderon

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