Il y a de la neige, il y a du vent, il y a un paysage glaciaire qui n'est qu'un pan d'une vision de l'Amérique - et il y a une boucle.
Un boucle, un circuit, fermé, à double tour. Une silhouette qui tente d'avancer, tend son pouce vers la route et s'imagine aller quelque part alors qu'il n'a nulle part où aller. Sa vie est une boucle, un cercle vicieux, infernale. Llewyn Davis n'est qu'une parenthèse encombrante dans l'existence des autres, un cafard, un loser, qui s'accroche pour prouver peut-être qu'il existe encore.
Dans sa main il y a la trousse de sa guitare et dans l'autre un chat qui ne s'arrête jamais de se dérober, pour s'identifier au trajet irréductible des hommes - fuir, partir, courir, avancer, ne pas rester immobile et découvrir le monde comme épanouissement ultime.
Un micro posé sur une petite scène, une image laiteuse qui doucement s'esquisse. Un mouvement, un visage. Inside Llewyn Davis. Sa voix se lève, s'élève. "Hang me, oh hang me". Cela ressemble à un balbutiement, un regret, un chagrin esquissé, un mot répété contre un autre, comme un enfant qui s'excuse et se lamente dans le froid. A l'intérieur de Llewyn Davis, le crépuscule étreint tout de sa noire poésie. Dehors il y a la route qui est une boucle elle aussi, un passage vers un horizon qui scellera l'échec - puisque tout mène vers lui. Et nous raccompagnera sur nos pas, dans le contre-sens du vent.
Hors du cadre, il y a une tragédie métaphysique qui se resserre sur Llewyn. Celle de ne plus savoir qui est-il, où va t-il, s'il est condamné à rester là et continuer à chanter, s'il est un génie ou un fantôme sans talent, un type bien ou un pauvre con, s'il a finalement tout fait pour en être là aujourd'hui ou si le destin est un salaud. Le film ne tranche pas, il ne fait que poser, devant lui, tranquillement, la boucle infinie de sa vie dans toute sa mécanique nudité. Et la vie de Llewyn, telle qu'elle est et restera, n'est qu'entrevue sur une semaine parmi d'autres qui d'ailleurs, déjà recommence, énième tentative de dérobade avant que le vent, cet étrange vent, puissance douce mais cruelle, inidentifiable et mystérieuse ; ne le raccompagne qu'une fois de plus sur ces mêmes pas.
Alors, où sommes nous Inside Llewyn Davis ? Sommes-nous dans sa tête, cauchemar de brume épaisse et noire ? Dans ses yeux, vision d'un monde qui se délite juste pour nous, comme l'exclusivité d'un échec, pendant que les autres ailleurs vivent comme nous ne vivons pas ? Sommes-nous dans ses doigts ? Sommes nous la corde de la guitare qu'il tient ? Le film est-il une musique, entière, pleine, dépouillée, épurée, magnifique ? Ou alors est-ce la tranquille mais terrible mélodie de ce vent qui se resserre, des pas de ce chat qui se dérobe comme nous tous, de l'itinéraire brisé de Llewyn Davis à travers soi ?
Il y a de la neige, il y a du vent, il y a un paysage glaciaire qui n'est qu'un pan d'une vision de l'Amérique - et il y a une boucle.
Inside Llewyn Davis, la vie ressemble à un recommencement, un cauchemar continu que le réveil n'entrecoupera jamais, une ligne ténue qui se poursuit et continuera longtemps.
"Hang me, oh hang me". Encore. De ses mots si durs, si désespérés, si proche de ce pont où l'être aimé aura choisi de partir ailleurs, dans la mort ; s'écoule une poésie frêle, presque évidente, là dans toute son évidente beauté. Ce n'est pas un film de petit malin, c'est un film d'êtres fragiles et de musique, qui les regarde chacun dans la beauté de leur art, celui d'émouvoir et d'exister. C'est la douce musique du vent, la ballade folk des pas du chat qui s'en va, la légende d'une silhouette qui avance, condamnée à se mouvoir dans l'entre-deux du vrai monde et du monde rêvé. Et qui, pour pleurer peut-être, n'a plus rien à faire d'autre que de gratter la corde et chanter.
B-Lyndon
9
Écrit par

Créée

le 9 nov. 2013

Critique lue 572 fois

16 j'aime

5 commentaires

B-Lyndon

Écrit par

Critique lue 572 fois

16
5

D'autres avis sur Inside Llewyn Davis

Inside Llewyn Davis
Sergent_Pepper
8

That’s all folk.

« Pendez-moi, j’ai défié le monde… » chante Llewyn dans la chanson qui ouvre le film. Tout est là, comme souvent chez les frères Coen, pour irrémédiablement condamner le protagoniste. Parasite,...

le 15 avr. 2014

141 j'aime

6

Inside Llewyn Davis
Socinien
7

Notes à benêt

Prix Spécial du Jury au Festival de Cannes session 2013, Inside Llewyn Davis est en effet un très bon cru des frères Coen qui se déguste avec délectation : un film ironique, pluvieux et hivernal, ce...

le 26 mai 2013

79 j'aime

18

Inside Llewyn Davis
Torpenn
6

Les douze coups de minou

Il existe au cinéma une véritable esthétique de la moulasse, avec de très nombreuses variations autour de la moule au milieu du salon, quelque chose qui place le mollusque au niveau des losers...

le 15 nov. 2013

70 j'aime

22

Du même critique

The Grand Budapest Hotel
B-Lyndon
4

La vie à coté.

Dès le début, on sait que l'on aura affaire à un film qui en impose esthétiquement, tant tout ce qui se trouve dans le cadre semble directement sorti du cerveau de Wes Anderson, pensé et mis en forme...

le 3 mars 2014

90 j'aime

11

Cléo de 5 à 7
B-Lyndon
10

Marcher dans Paris

Dans l'un des plus beaux moments du film, Cléo est adossée au piano, Michel Legrand joue un air magnifique et la caméra s'approche d'elle. Elle chante, ses larmes coulent, la caméra se resserre sur...

le 23 oct. 2013

79 j'aime

7

A Touch of Sin
B-Lyndon
5

A Body on the Floor

Bon, c'est un très bon film, vraiment, mais absolument pas pour les raisons que la presse semble tant se régaler à louer depuis sa sortie. On vend le film comme "tarantinesque", comme "un pamphlet...

le 14 déc. 2013

78 j'aime

44