Il existe au cinéma une véritable esthétique de la moulasse, avec de très nombreuses variations autour de la moule au milieu du salon, quelque chose qui place le mollusque au niveau des losers magnifiques qui attirent irrémédiablement la sympathie de la part de cancre qui sommeille en chaque spectateur. Et dans cet art minutieux, les frères Coen font figure de maîtres.

Déjà, leur guide à tous, Steve Buscemi, s’étale lamentablement dans pas moins de six de leurs œuvres, signe qui ne trompe pas. En outre, les mollassons minables ont connu avec eux d’autres merveilleux spécimens, le Nicolas Cage d’Arizona Junior, le Jeff Bridges du Big Lebowski… Sans oublier enfin un rare pendant féminin oscarisé dans Fargo sous les traits amorphes de Frances McDormand.

En matière de moulasse, rien à dire, les frangins sont des pros, normalement, on peut leur faire confiance les yeux fermés, il ne leur manquait qu’un seul modèle à creuser, et ce n’était pas forcément une bonne idée : la moulasse antipathique.

Parce que, disons-le tout net, Llewyn Davies est un sacré connard. Résolument désagréable de la première à la dernière seconde du film, ce prototype du petit con égoïste et merdeux n’arrive, hélas, à aucun moment à tirer parti de son statut de grosse moulasse, ce qui en soit est une gageure et je pense qu’il faut remercier pour ça l’interprète principal, le très pénible Oscar Isaac qui tire sa gueule à claques pendant 105 minutes en accumulant les actions misérables et l’opprobre du spectateur.

En fait, tout individu normalement constitué rêve de lui foutre une torgnole dans une arrière-cour discrète à chacune de ses apparitions, c’est-à-dire pendant l’intégralité du métrage…

Et pourtant, tout est essayé ici pour compenser ce lourd handicap, mais en vain, même les multiples apparitions de chat roux n’y pourront rien, la production a beau avoir engagé pour l’occasion douze félin de cette race, si j’en crois les sources de mon voisin de gauche, rien n’y fait, le type continue à avoir l’air d’un sale con.

Du coup, pas évident de se passionner pour ses pérégrinations de divan en divan dans un Greenwich Village agréablement photographié, comme toujours chez les Coen, mais qui manque singulièrement de substance.

C’est un peu le reproche suivant à faire au film d’ailleurs, les scénettes s’accumulent pourtant dans une jolie cohérence, il y a du liant, toutes les figures principales du folk du début des sixties passent à la casserole, mais sans réelle profondeur, on a du mal à y voir autre chose qu’une accumulation semi-parodique. A ce jeu-là, d’ailleurs, la palme revient à Justin Timberlake qui incarne le Jim de Jim et Dean avec la barbe de Paul Clayton et un air gentiment niais parfaitement jubilatoire.

Je ne sais pas comment était Dave Von Ronk en réalité mais gageons qu’il n’avait probablement pas besoin d’un Oscar Isaac pour lui rajouter ce vernis détestable qui empêche de s’intéresser à son sort. Une bonne moulasse se doit de toujours garder une fibre humaine, c’est le secret, un Casey Affleck excelle dans ce délicat travail d’équilibriste par exemple, mais pour le commun des mortels, ce n’est pas évident d’émouvoir en passant son temps à se plaindre et à tirer la tronche…

Et c’est foutrement dommage parce que moi j’aime bien l’idée des balades de chambre à chambre, l'odyssée du chat, le trip road-movie avec Goodman, le casting avec F. Murray Abraham, le producteur grippe-sou, le syndicaliste dégénéré la variante sur Peter, Paul and Mary, la chanson gag sur Kennedy, mais tout cela baigne dans une atmosphère morne et limite glauque, comme si ce n’était pas suffisant de se taper comme héros de film la pire insulte jamais proposée à toutes les merveilleuses moules de l’histoire du canapé…

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le 15 nov. 2013

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Torpenn

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