Inside Llewyn Davis n'est probablement pas le film le plus accessible des frères Coen. De prime abord, il peut apparaître comme un opus mineur, sympathique mais finalement oubliable. Pourtant, force est de constater que l'oeuvre continue d'occuper les pensées du spectateur longtemps après la séance. L'air de rien, Inside Llewyn Davis est loin d'être aussi inoffensif qu'il n'y paraît et, en plus d'en former une sorte de condensé, est sans doute l'oeuvre la plus cruelle des frangins.

Llewyn Davis donc. Chanteur folk encore hanté par le souvenir du suicide de son ancien ami et binôme musical et qui traîne sa misère d'appart en appart, squattant chez les quelques derniers amis qui lui reste et même chez les inconnus tout juste rencontrés. Personnage qui semble d'abord antipathique tant on le voit faire mauvais choix sur mauvais choix sans jamais se remettre en question. Véritable boulet que se traîne ses amis, incapable de gérer quoi que ce soit, couchant avec (et mettant enceinte) la femme de son ami, musicien ne suscitant guère d'enthousiasme du public, Llewyn Davis semble donc ne rien avoir pour lui. Pourtant, difficile de ne pas finir par s'attacher à cet homme qui est simplement en décalage avec l'univers dans lequel il évolue. Il n'y a ni méchanceté ni intention de nuire dans son comportement mais simplement une inadaptation. Il n'est pas « à l'heure », probablement en avance sur son temps et donc en décalage avec son époque, ses amis, sa famille (voir les affrontements avec sa sœur, typique américaine puritaine des années 60 qui reproche clairement à son frère sa vie de débauché).

Comme Barton Fink, The Dude ou encore Ed Crane avant lui, Llewyn Davis est un personnage décalé, plus ou moins absent de sa propre vie. Mélancolique en somme. La mise en scène des frères appuyant d'ailleurs constamment sur l'amertume de ce personnage avec cette photographie terne, grisâtre, enfermant le film dans un état de profonde tristesse. Llewyn refuse le temps qui passe. Alors que tout change autour de lui, que ses amis s'embourgeoisent avec les années, qu'il sent bien que ses rêves de succès ne se réaliseront probablement jamais, il préfère rester le jeune homme idéaliste qu'il était. De là, incapable à s'adapter à son entourage, il devient un parasite aux yeux de celui-ci.

C'est au cours d'un voyage à Chicago qu'il prendra conscience de son état et de la nécessité pour lui d'avancer, de changer. Voyage mystique et étrange qui offre la meilleure séquence du film où l'immense John Goodman rappel toute l'étendue de son talent. Ainsi, revenu chez lui, il renoue avec ses amis, recommence sa petite vie paisible. Mais, si en apparence, on pourrait penser que ce final sonne comme quelque chose d'heureux, où le personnage se serait enfin réconcilié avec lui même et ses proches, les choses ne semblent pas aussi roses. Entre le début et la fin du film, rien n'a changé. Llewyn squatte toujours chez ses amis, chante toujours dans des cabarets miteux dans une indifférence polie, se fait toujours tabasser à la sortie de celui-ci. En ce sens, il s'inscrit dans la longue liste des personnages coeniens, ces losers qui tentent ou ont l'occasion de s'en sortir mais ne parviennent jamais à s'extirper de leur condition. Le clou étant enfoncé par l'un des derniers plans, lourd de sens, où Llewyn sort du cadre au moment même où le jeune Bob Dylan commence sa première chanson. Il est trop tard pour Llewyn, sa chance est passée, le succès ne viendra pas.

Ainsi, comme toujours chez les Coen, pas de place pour les génies. A ces derniers, ils préfèrent les autres. Ceux qui n'ont pas eu la même chance, le même supplément de talent, qui n'étaient pas au bon endroit au bon moment, un peu trop en avance sur leur temps. Pour un Bob Dylan, combien de Llewyn Davis laissés sur le bas côté ?
ValM
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le 15 févr. 2015

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