Sean Penn a fait de son cinéma celui de l’absence. Ses héros sont les manquants ou ceux qui restent, ses drames sont les disparitions douloureuses, son décor une Amérique à l'innocence égarée et à la jeunesse lointaine. Et avec en son centre ce vide, cet espace vacant autrefois occupé dans les cœurs, dans les maisons, et autour duquel le cinéaste fait tout graviter.

Into the Wild, c’est d’abord ce recueil saumâtre et déchirant que fait une sœur de ses souvenirs d’un frère : souvenirs mourants d’un être devenu lointain, insaisissable. Into the Wild, c’est aussi le portrait mélancolique et attachant d’une jeunesse égarée dans ce pays monde que sont les Etats-Unis.

Le film de Sean Penn est d’ailleurs totalement habité par cette jeunesse, dans ses éclats comme dans ses ombres, complètement à l’image de son héros, effigie ultime de la jeunesse, dans ses flamboyances autant que dans ses travers. Ardent et sauvage, libre et pur, éperdu d’absolu et de désespoir, mais aussi naïf, arrogant et ingrat, un peu vide peut-être : l’œuvre se fait, comme son protagoniste, encore plus touchante quand elle se révèle dans ses imperfections, ses fêlures, ses paradoxes.

En tête d’un casting prodigieux, Emile Hirsch apporte toute sa verve rageuse et candide à son Alexander Supertramp, cet aventurier du soi courant après les chimères de la solitude séduisante de Tolstoi et des aventures idéalisées de Jack London.

Into the Wild est vraiment singulier, il ne se découvre pas comme un autre film, il nous croise, on le rencontre. Pour la première fois dans son œuvre, Sean Penn fait apparaître derrière la douleur de l’absence son éternel et inévitable corolaire, celui du bonheur qui peut naître de la présence, de la rencontre nouvelle. Le véritable voyage de Christopher McCandless est là, d’êtres en êtres, d’intimité en intimité, et nous laisse entrevoir à chacune de ces rencontres un peu du passé que tous ces voyageurs emportent dans leur bagage - et que notre héros, comme un relais, transporte à son tour dans son bardas.

Le film nous quitte d'ailleurs un peu à la manière de ces rencontres essentielles et belles que l’on fait dans sa vie : amère mais légère, l'absence se fait alors ressentir par le poids de ce qu'on emporte d'eux quand on les quitte.
Omael
10
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le 15 juin 2014

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