A l'instar du très bon "Get Out" sortit aussi cette année, "It Comes at Night" confirme le regain de vitalité du cinéma de genre américain, à mi-chemin entre le thriller psychologique et l'horreur pure.
Production indépendante s'il en est, disposant d'un budget réduit, tourné avec des comédiens très peu connus (à l'exception notable de Joël Edgerton, nouvelle étoile hollywoodienne montante), ce second film du jeune réalisateur Trey Edwards Shultz choisit de s'intéresser à la menace extérieure, autrement dit "celle quel'on ne peut ni voir, ni ressentir", le tout dans un climat post-apocalyptique dans lequel tout semblant d'humanité (ou presque) aurait disparu.


Ce qui capte en premier lieu, dans "It comes...", c'est avant tout son ambiance, à la fois glauque, oppressante et même claustrophobe. En effet, l'intrigue du film se déroule dans deux lieux aussi proches (en terme de distance) que différents : la maison et la forêt, dans laquelle il ne faut jamais s'aventurer pendant la nuit.
La bonne idée du réalisateur est d'utiliser ces deux éléments comme reflet du sujet central de son film : la famille.


Outre son ambiance pesante, c'est surtout le portrait de la famille de Paul (le personnage principal du film, interprété par Joël Edgerton) qui marque les esprits. A l'instar de l'époque durant laquelle se déroule le film, Paul est lui-même un personnage relativement trouble, partagé entre son désir de protection envers sa famille et sa sauvagerie refoulée, n'hésitant pas à tuer, parfois même sans trop savoir pourquoi.
Ceci dit, c'est sans doute le personnage de Travis, le fils de Paul, qui est le mieux écrit de tous. Tour à tour touchant et inquiétant, il constitue, avec le climat post-apo , LE deuxième grand élément inquiétant du film. Sans en dire plus, Travis, interprété de manière très subtile par Kelvin Harrison jr, contribue à ce climat d'"inquiétante étrangeté" véhiculée par le film durant son entièreté.


Ceci dit, en dépit d'indéniables qualités formelles, on pourra toutefois reprocher à "It Comes..." de trop avancer en terrain familier : l'ambiance de fin du monde, la famille au bord de l'impasse psychologique, l'homme tiraillé entre son humanité et son animalité refoulée, tout ça sent le "déjà-vu" à plein nez. Et pourtant, malgré tout, le réalisateur parvient un peu à combler ce manque d'originalité en substituant, à la famille de Paul au bord de l'abîme, celle de Will (interprété par Christopher Abbott) qui, même sur fond de fin du monde potentielle, continue à privilégier l'affection et l'amour (symbolisés par Andrew, le très jeune fils du couple). C'est d'ailleurs via l'image de ce couple encore passionné que Paul retrouvera du plaisir auprès de son épouse, et que Travis éprouvera à nouveau l'envie de sourire, d'aimer et même celle de désir à l'instar de Kim, la jolie femme de Will. Par ailleurs, cette dualité est tellement évidente (la froideur pour mieux survivre VS l'amour et la tendresse tant que le monde continue de tourner) que l'on en vient presque, au moins pendant une bonne partie du film, à éprouver d'avantage d'affection pour Will, sa femme et son enfant que pour Paul et les siens; dualité renforcée par ailleurs par les rapports antithétiques qu'entretiennent les personnages entre eux : la sauvagerie de Paul vs l'apparente bonté de Will, la froideur de Sarah (femme de Paul) VS la tendresse de Kim et enfin l'ambiguïté de Travis VS l'innocence d'Andrew.


Le principal reproche que bon nombre de spectateurs ont eu à l'égard de ce film est son "absence de réponses". Alors oui, on ne va pas se mentir, "It Comes..." est un film à l'image de son ambiance : froid et pas toujours facilement abordable. En gros, à ceux qui s'attendent à des explications sur le "pourquoi du comment on en est arrivé là", qu'ils passent leur chemin; RIEN n'est jamais vraiment expliqué. Ceci dit, les paysages forestiers de même que la façon de (sur)vivre des personnages fournit déjà des indices quant à ce qui a bien pu se passer : ainsi, fin du monde ou pas, on y croit à cette partie d'Amérique quasi vidée de ses habitants. Cette volonté de ne pas vouloir s'attarder sur les détails et de ne rien dévoiler se retrouve également dans certains détails scénaristiques : ainsi, l'attirance supposée de Travis pour Kim ne sera pour ainsi dire jamais exploité, les motivations de Paul elles-même demeurent relativement floues : est-il véritablement un père protecteur ou au contraire un individu de plus en plus vampirisé par sa part d'ombre ?
Si cette absence de réponses claires s'inscrit inévitablement dans la volonté affichée du film (laisser le spectateur se faire sa propre idée sur ce qu'il voit plutôt que tout lui expliquer de bout en bout), elle pourra aussi en frustrer plus d'un, à juste titre, d'autant plus que ces quelques éléments scénaristiques mentionnées un peu plus haut sont trop vite expédiées pour qu'on ait le temps d'en prendre véritablement conscience.


En gros, malgré une ambiance globale relativement inégale (partagée entre frustration et grand intérêt), "It Comes at Night" est un film de genre plutôt accrocheur, qui par moments, parvient même à susciter des émotions fortes chez le spectateur (sur ce plan-là, le travail sur le son est remarquable). Sans être follement original (ce genre de récit a déjà été traité plus d'une fois sur grand et même petit écran) ni même totalement abouti, ce film tire son épingle du jeu de par le climat d'angoisse sourde et pesante qui se dégage tout au long de la projection et de par l'efficacité de sa narration, qui privilégie la tension et le suspense.

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le 8 août 2017

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