J'Ai Tué Ma Mère {Par maccafan21 & Avec Spoilers}

Totalement conquis par Mommy, je me décide alors à découvrir le reste de la filmographie de Xavier Dolan, et quoi de mieux pour cela que de le faire chronologiquement en débutant aujourd'hui par J'ai Tué Ma Mère. Premier film du réalisateur, celui fut notamment sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs du Festival de Cannes où il remporta trois prix.


Synopsis : Hubert Minel n'aime pas sa mère. Du haut de ses 17 ans, il la juge avec mépris, ne voit que ses pulls ringards, sa décoration kitsch et les miettes de pain qui se logent à la commissure de ses lèvres quand elle mange bruyamment.
Au-delà de ces irritantes surfaces, il y a aussi la manipulation et la culpabilisation, mécanismes chers à sa génitrice. Confus par cette relation amour-haine qui l'obsède de plus en plus, Hubert vague dans les arcanes d'une adolescence à la fois marginale et typique - découvertes artistiques, expériences illicites, ouverture à l'amitié, sexe et ostracisme - rongé par la hargne qu'il éprouve à l'égard d'une femme qu'il aimait pourtant jadis.


On se retrouve à nouveau devant la thématique des relations mère-fils, mais cette fois-ci en se focalisant sur l'aspect conflictuel de celles-ci. En effet, ces deux êtres s'aiment un peu par "obligation" du fait de leur lien familial, mais n'arrivent pas à se comprendre... Se pose alors diverses questions : Quelle est la réelle portée de cet amour? Est-on obligés d'aimer sa mère ou bien peut-on la détester? ... Peut-être cela semblera-t-il éthiquement contestable pour certains de remettre en cause l'amour porté à une mère, mais selon moi cette idée, particulièrement bien traitée en l'état, est au contraire des plus pertinentes.


De surcroît, la thématique de la nostalgie, du souvenir à l'enfance, époque où la relation mère/fils est en principe beaucoup plus intense, où l'on se dit tout, permet vraiment d'aborder le sujet dans son ensemble, et de ne pas faire un énième film sur la crise d'adolescence. D'autant plus que la force principale du récit est de ne jamais prendre parti pour l'un ou l'autre des protagonistes, mais de montrer à la fois les qualités et les défauts de chacun d'eux, ce qui abouti à une histoire crédible et particulièrement sincère! [Sûrement dû au fait qu'elle soit en partie autobiographique]


Le jeune réalisateur s'est d'ailleurs offert le premier rôle, celui du fils, et que dire si ce n'est qu'il s'en sort excellemment bien. On retrouve également, comme dans Mommy, ses deux actrices fétiches que sont Anne Dorval et Suzanne Clément, la première dans le rôle de la mère (encore!) et la seconde dans celui de la prof (quasi-encore!), deux rôles néanmoins très différents ici et qu'elles interprètent à nouveau à la perfection! Enfin, François Arnaud vient compléter le casting et s'avère fort convaincant dans son rôle de jeune amant.


Les dialogues sont sans conteste un autre des gros points forts du film, d'autant que les répliques sont énoncées avec un fort accent québécois plein de charme, qui, ajouté à un débit de mots extrêmement rapide, n'est pourtant jamais un obstacle à la compréhension. Le dialogue suivant sort notamment du lot : "Qu'est-ce qu'tu ferais si je meurs aujourd'hui? // J'mourrai d'main".
L'ensemble des paroles d'Hubert dans la salle de bain sont aussi d'une justesse incroyable, en particulier les propos sur le fait qu'on ait tous, dans des proportions variables, déjà détesté notre mère à un moment donné, et ces passages de confessions en noir et blanc permettent de comprendre toute la complexité du personnage. Ces scènes sont d'ailleurs très intéressantes d'un point de vue de la mise en scène, car plutôt que de nous montrer ce qui est réellement filmé par la caméra bon marché de l'adolescent, nous avons une qualité d'image irréprochable qui donne un aspect solennel au discours.


Sinon la mise en scène est très appuyée dans l'ensemble, et notamment au niveau les cadrages. Il arrive ainsi que les personnages soient placés en petit dans un coin du cadre, souvent lors de plans fixes, ce qui laisse une place importante aux décors qui sont très bien exploités (par exemple, alors que le foyer d'Hubert est sombre, celui d'Antonin est lumineux et donc plus accueillant).


Dolan parvient même à réinventer la règle du champ-contrechamp en utilisant cette technique non pas pour des personnages qui seraient face à face, mais pour des personnages qui se trouvent l'un à côté de l'autre. Ce type de champ-contrechamp prend alors tout son sens au sein de leur relation mère/fils puisqu'en décalant la caméra de façon à ce qu'un personnage n'occupe qu'une moitié du cadre, le réalisateur montre que tout tend à les séparer malgré leur proximité physique. De plus, l'autre moitié de l'écran est ainsi remplie par le vide, renforçant cette idée de solitude.


Outre ce cadrage, une grande variété d'effets est proposé dans J'ai Tué Ma Mère tels que des séquences au ralenti et/ou accéléré, des plans séquences pour les scènes en voiture, des très gros plans, des textes incrustés nous montrant ce que lit le personnage (sms, poème, ...), ou plus original des rêveries fantasmagoriques permettant d'imager les pensées d'Hubert.


La musique est quant à elle d'une grande qualité, avec un agréable mélange de musique classique et de musique contemporaine. J'ajouterai enfin que la peinture à elle aussi un rôle important puisque, mis à part une scène de dripping, de nombreux tableaux décorent les différents lieux.


Que dire alors de ce film, au titre évidemment provocateur mais néanmoins tout à fait approprié, si ce n'est que j'ai une nouvelle fois été conquis!


Le film à bien sûr quelques petits défauts, comme par exemple la photographie qui n'est pas encore totalement abouti sur certaines scènes (je pense particulièrement à la scène de la mariée, celle-ci perdant alors un peu de son impact). Et comme autres réserves, je trouve le personnage de la mère d'Antonin un peu caricatural, et une scène bien précise ne me semble pas indispensable puisqu'elle vient expliciter le titre du film qui était déjà évident suite à une des premières séquences du métrage. Mais honnêtement ce ne sont pas ces rares points noirs qui viendront vous gâcher le film.
On retiendra bien plus facilement quelques scènes énormissimes (la "réconciliation" surprise entre la mère et le fils quand celle-ci est sortie de son sommeil par Hubert ; la monstrueuse engueulade au téléphone avec le directeur du lycée ; ...) et notamment la scène de fin qui veut tout dire par son silence.


Bref. Talentueux devant et derrière la caméra, Xavier Dolan nous gratifie ici d'un excellent film que je conseille à tous!

maccafan21
8
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le 14 mai 2019

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maccafan21

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