Le thriller érotique est un mélange « subtil » de thriller, de romance et de sexe softcore dont les origines semblent remonter à 1948 avec la sortie de Assurance sur la Mort de Billy Wilder, véritable précurseur avec Vertigo d'Alfred Hitchcock et Lolita de Stanley Kubrick (1958 et 1962). Les années 80 voient la sortie au cinéma de pas moins de 112 thrillers érotique dont Pulsions et Body Double de Brian de Palma, 9 semaines ½ et Liaison Fatale d'Adrian Lyne, Blue Velvet de David Lynch ou encore Cruising et Mélodie pour un meurtre avec Al Pacino.
En 1992, Basic Instinct sortait avec le succès que l'on connaît et lança définitivement la mode du thriller érotique. Il allait propulser par la même occasion un homme, Joe Eszterhas, devenant le scénariste le mieux payé de la Cité des Anges. Scénariste chez Costa Gavras (La Main droite du Diable, The Music Box), Adrian Lyne (Flashdance) ou encore Norman Jewison (F.I.S.T.), c'est chez Paul Verhoeven qu'il connaîtra la gloire avec le sulfureux Basic Instinct... puis connaîtra un déclin fracassant 3 ans plus tard avec Showgirls du même réalisateur où il gagna le Razzie Award du pire scénario. Durant ces 3 années, il écrivit le scénario de 5 films dont 4 sont des thrillers érotiques : Basic Instinct donc, Sliver (toujours avec Sharon Stone), Showgirls et Jade.
Sortie quelques semaines après Showgirls, Jade subit un échec critique doublé d'un échec commercial. Et au vu de la qualité du film, cela ne pouvait finir autrement. Et pourtant je tiens à le défendre, parce qu'il y a beaucoup de choses à dire sur ce film du cinéaste de l'extrême...



« J'ai donné le meilleur de moi-même dans ce film » (William Friedkin)



Le légende la plus connue autour du film est celle où Joe Eszterhas menaça Paramount d'enlever son nom du générique après que William Friedkin a modifié grandement le scénario original sans lui en parler. Celui-ci l'a tellement modifié que le film devient confus assez vite (et je ne vous parle pas de la dernière demi-heure, au-delà de toute compréhension humaine). L'intrigue principale s’emmêle dans des intrigues secondaires qui semblent ne pas avoir de rapport avec le reste du film, des scènes de sexe qui disparaissent ou qui deviennent incroyablement soft pour le genre, vous l'aurez compris, l'oncle Bill s'est grandement amusé à tout refaire, jusqu'à ce que plus personne n'y comprenne grand chose ! Cependant, les heureux lascars qui ont eu la chance de voir la Unrated Director's Cut (disponible uniquement sur une vieille VHS aux US) disent qu'il faut voir cette dernière, qui se trouve être bien plus compréhensible que la version cinéma (perso j'ai toujours dit que Friedkin ne savait pas faire de Director's Cut, mais pourquoi pas !)


Et pourtant... A travers toute cette confusion je suis bien obligé d'admettre que ce film est du Friedkin à 100%, c'est d'ailleurs ce qui m'empêche de le traiter de « téléfilm qui pourrait passer l'après-midi sur M6 ». Tout cela va même bien plus loin puisque c'est à travers la réalisation et les choix de mise en scène que ces thèmes prennent tout leur sens. Bien sur, on revoit les thèmes chers à Billy (la limite floue entre le Bien et le Mal par exemple) mais ils restent en retrait par rapport à d'habitude. Non ici nous voyons une sorte de radicalisation d'un thème qui traverse les personnages ET la réalisation : la frustration. En effet, tout le film joue à être ce qu'il n'est pas.



« Tous les personnages de ce film portent un masque » (William Friedkin)



Le film joue a être un thriller érotique : les scènes de sexe sont extrêmement rares et d'une improbable frustration. Deux d'entre elles ont lieu avec le couple Gavin. Celles-ci sont très peu stimulantes sexuellement pour le spectateur et assez ennuyeuses, une manière intéressante de plonger le spectateur dans la monotonie sexuelle d'un couple où la femme se force pour satisfaire son mari...



« Dans Jade, les personnages ne sont pas ce qu'ils semblent être; à chaque nouveau rebondissement dans l'affaire, les relations entre les politiciens, les autorités juridiques et 3 amis changent drastiquement. En effet, les masques jouent un rôle crucial dans le scénario de Jade, et la vérité sous ces masques choquent, surprennent et gênent » (Bob Stephens, The San Francisco Examiner)



Une autre séquence, située à la fin du film, nous montre Friedkin prendre le genre à contre-courant. Il s'agit ici d'un rapport sexuel entre Katina Gavin et un inconnu. Nous pouvons voir, en gros plan, un talon féminin écraser les cojones de l'inconnu. Cette scène est probablement l'une des plus castratrices et anti-masculines de la filmographie de Friedkin, elle sonne comme une provocation envers le public (principalement masculin dans ce genre de film il faut l'admettre).



« Je n'ai absolument aucune idée de ce que je suis » (William Friedkin dans une interview dirigée par J.B. Thoret)



Cette phrase résume à elle seule Jade. Parce que Jade joue a être un film de Friedkin dans le genre qui l'a rendu célèbre : le thriller. Le film joue, ou plutôt détourne les codes de French Connection et To Live and Die in L.A., on assiste à une véritable remise en question de William Friedkin et ce dès l'ouverture du film. En effet, celle-ci tranche totalement avec le reste de la filmographie de l'ami Billy puisqu'elle est filmée en steadycam et ce de manière classieuse (à la De Palma diront certains), bien loin du style documentaire et réaliste qu'on peut lui associer.
Et d'ailleurs, savez-vous quel est le point commun entre les 2 films cités précédemment ? Les courses-poursuites en voitures. Celles-ci étaient nerveuses grâce au montage et aux situations de désespoir et de fuite (To Live and Die in L.A.) ou de chasse (French Connection). Ici nous avons une situation de chasse à l'homme mais qui prend le contre-pied de celles citées précédemment : elle est tournée au ralenti. Mais pas le type de ralenti stylisé, oh que non ! Non un ralenti du style les voitures ne roulent pas à 180 km/h mais à 30km/h et bloquées dans les bouchons ! Ce qui est un comble étant donné que l'histoire se passe à San Francisco ! Friedkin la définira d'ailleurs comme «une anti-course-poursuite»


Et pourtant ce n'est pas le seul thriller érotique de Billy Friedkin ! Cruising, sorti en 1980, provoqua un tollé chez les homosexuels, se fit démonter par la critique et la plupart des spectateurs, fit un bide commercial, fut dénigré par Al Pacino qui le qualifia de mauvais et déclarant même qu'il n'y avait rien à faire pour sauver le film (dans ses entretiens avec Lawrence Grobel). Contrairement à Jade, Cruising possède aujourd'hui un statut de film culte, et le fait que ce soit un «film malade» lui confère un statut de potentiel chef d’œuvre. Jade obtiendra-t-il ce genre de statut ? Allons-nous avoir droit à une ressortie du film dans sa Director's Cut suite au récent succès de Sorcerer et de la sortie récente (avec un tout nouveau master) de To Live and Die in L.A. ?

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le 9 mars 2017

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