Jay & Bob sont moins drôles que des chaussures de clown

"Jay et Bob vont tout déchirer ! Les héros de Clerks et Dogma contre-attaquent !".
C’est pas ce qu’il y a de plus vendeur, mais c’est ce que proclame la bande-annonce française de Jay & Silent Bob strike back, avec une assurance qui ferait presque croire que tout le monde connaît les personnages et les films évoqués. Ce qui est évidemment loin d’être le cas !
Cinéaste culte pour beaucoup, Smith reste encore aujourd’hui très peu connu du grand public Français. De nos jours, on a de la chance quand ses réalisations sortent chez nous en direct-to-video, alors ça paraît dingue de penser qu’à une époque on sortait des productions comme Jay & Silent Bob strike back en salles. D’autant plus que c’est le plus auto-référentiel des films de Smith. TF1 nous avait même sorti un double DVD collector, bardé de bonus.
Ca a participé pendant un temps à me faire penser que le film avait bien marché, d’autant plus que j’ai entendu et lu beaucoup de non-cinéphiles disant avoir vu Dogma et Jay & Bob.
Je crois que ce dernier a développé une certaine notoriété après sa sortie en vidéo, parce qu’au cinéma, il a fait un gros flop dans nos contrées.
J’ignore dans combien de salles il est sorti, mais à titre de comparaison, je me souviens que Scott Pilgrim avait dû sortir dans deux salles sur Paris, et il a fait 21 422 entrées en France. Jay & Bob en a fait 9 817. AHERM !


Ca ne me surprend pas vraiment non plus, parce que rien que le fait que ce film existe me semble fou. Resté fidèle pendant longtemps à Miramax, Kevin Smith a presque toujours fait des long-métrages ne nécessitant pas de gros budgets. Mais suite aux succès de Chasing Amy et Dogma, il faut croire que les Weinstein se sont lâchés et lui ont confié un budget de blockbuster pour faire ce qu’il voulait. Même un long-métrage sur ses deux personnages récurrents de toxicomanes, restés jusque là secondaires parce qu’ils tenaient surtout du gimmick. Le gros mutique et le grand maigre vulgaire à l’extrême, un duo comique qui fonctionnait par l’intermittence de leurs apparitions.
Et Kevin Smith en est conscient, du caractère insensé de l’opportunité qu’on lui offre, et il en joue, à de nombreuses reprises. "Un film sur Jay & Bob ? Mais qui irait voir ça ?"


L’intrigue est simple, mais lie astucieusement tout le ViewAskewniverse (View Askew étant la boîte de prod de Smith). Jay et Bob se font virer du Quick-Stop, et dans leur recherche d’un nouveau lieu où traîner et dealer, ils apprennent qu’un film va être fait basé sur Bluntman & Chronic, le comic-book dont ils sont l’inspiration, sans pour autant toucher quoi que ce soit. Pire encore : ils se rendent compte qu’on se déchaîne sur internet contre leurs personnages, et refusent de se laisser insulter ainsi… même si personne ne sait qu’ils existent réellement. La seule solution qu’ils envisagent, c’est d’aller à Hollywood pour arrêter la production du film.
Une quête sous forme de road-trip, pleine de détours, qui amènent des situations et personnages décalés.
Je n’ai pris conscience que tout à l’heure, en revoyant le film, qu’il est pensé comme un cartoon ; ce qui fait sens, quand on sait qu’un an plus tôt, Kevin Smith avait créé une série animée Clerks. Ca a dû l’influencer.
Jay & Silent Bob affiche clairement un humour plus farfelu, qui colle à ses protagonistes barrés ; Smith se permet même des bruitages et musiques cartoonesques, qui, étrangement, fonctionnent, et ne se montrent pas trop insistants.
Qu’on perçoive le film comme un dessin-animé en live-action ou non, en tout cas sa diégèse est suffisamment bien affichée par la forme pour qu’on accepte tous ses aspects saugrenus et caricaturaux, et pour qu'on tolère certains détails qui manquent de sens ou de cohérence.
Mais j’excuse les idioties du film d’autant plus facilement… qu’il me fait hurler de rire à chaque fois que je le vois.


Oui, avec Jay et Silent Bob comme personnages principaux, la vulgarité est omniprésente, mais elle est d’une inventivité salvatrice ; les injures ne semblent jamais gratuites parce qu’elles sont d’une absurdité hilarante.
Il faut dire aussi que le jeu y est pour beaucoup. Etant habitué à la VF, on sent vraiment que les doubleurs se sont éclatés. Vincent Barazzoni, la voix de Jay, se lâche complètement, et ses intonations délirantes décuplent le potentiel comique d’une réplique. C’est son travail qui fait que tant de citations, qui n’auraient pas grand chose de spécial à l’écrit, sont restées gravées dans mon esprit. Jay & Silent Bob strike back doit vraiment être le film dont je peux citer le plus de répliques, devant Retour vers le futur, avec lequel j’ai pourtant grandi.
Non mais il suffit de voir cette séquence pour comprendre l’ampleur du talent de ce doubleur :
https://www.youtube.com/watch?v=aagDBCyX0cE


L’interprète de Jay, Jason Mewes, n’est pas comédien à la base, mais il est ici l’acteur principal, le seul du duo d’héros à parler. Et il est excellent aussi, il déborde d’énergie. Silent Bob, incarné par Smith, bien que mutique, se montre beaucoup plus expressif que par le passé, et marque sa présence simplement par ses mimiques, qui suffisent à rendre hilarant un plan même très court.
Le montage, d’un rythme terrible, très dynamique, fait qu’on ne s’ennuie jamais, mais on voit également que le monteur s’est assuré de sélectionner les meilleurs passages où les acteurs font un petit geste, une grimace discrète, qui fait toute la différence.
On constate une grande complicité entre les acteurs ; des passages sont clairement improvisés, et sortent de nulle part (le chant entre les héros et Brodie, j’ai jamais compris d’où ça venait), mais ça participe au délire.


Kevin Smith a l’habitude d’avoir son microcosme, ici plus que jamais il multiplie les références plus ou moins directes à ses autres films, très plaisantes pour un fan, et s’entoure de ses amis, si ce n’est que cette fois il y a vraiment des cameos à la pelle. Beaucoup de stars, mais contrairement à ce qu’on voit trop souvent, ça n’est pas gratuit, du moins c’est justifié par des gags inventifs, délirants, parfois à connotation satirique.
Au vu du sujet, le réalisateur se moque forcément des blockbusters et du système Hollywoodien, de certains autres cinéastes, mais en profite aussi pour régler ses comptes avec les trolls qui peuplent les sites comme WorstPreviews (à chaque fois que je lisais les commentaires nauséabonds sur ce site, je croyais lire la parodie "MoviePoopShoot" de Jay & Silent Bob). Et là encore, le fait que Kevin Smith exerce sa petite vengeance passe grâce à l’humour employé, que je trouve énorme.
C’est toujours compliqué de parler d’une comédie parce que l’humour est subjectif et qu’on peut difficilement défendre un gag autrement qu’en disant que c’est "drôle"…
Mais Jay & Silent Bob strike back est un film qui me fait toujours hurler de rire, de bout en bout, après toutes ces années. Il y a tellement de séquences d’une connerie qui touche au génie...


Alors c’est bête, c’est gras, c’est vulgaire, et je comprends qu’on puisse ne pas aimer du tout… mais c’est un film que je garde dans mon top 10 films, parce qu’il ne peut en être autrement pour une œuvre que je connais si bien, et qui m’éclate toujours autant à chaque fois que je la revois.

Fry3000
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le 17 avr. 2016

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Wykydtron IV

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