The last Man on Earth (Ubaldo Ragona & Sidney Salkew, Italie, 1964, 1h27)

‘’The last Man on Earth’’ fait partie du cercle très fermé de ces œuvres que l’on peut qualifier de matricielles, tellement son influence sur le monde cinématographique est inconsidérable. Adapté du roman post-apocalyptique de 1954, par l’auteur américain Richard Matheson, qui a également collaboré à l’élaboration du scénario, il est porté par le légendaire acteur britannique Vincent Price, et n’usurpe en rien sa réputation.


L’intrigue prend place dans un futur proche, puisque l’action se déroule en 1968 (et le film date de 1964), où un virus mortel transforme ceux qui le contracte en vampires. Un scientifique, le Dr Morgan, se sent bien seul dans ce monde, entouré de véritables morts-vivants, qui le harcèlent toutes les nuits. Réduit à compter les jours, il garde l’espoir de trouver un vaccin, et de retrouver le monde tel qu’il fût.


Réflexion grandeur nature sur la fin de notre civilisation, le film fait la part belle aux flashback du Dr Morgan, nous plongeant dans un quotidien sur le point de disparaître. Tantôt entouré de sa fille et de sa femme, des séquences prennent également place dans le laboratoire où il travaille dur à la recherche d’un antidote. Bien que le personnel s’amenuise peu à peu. Entre ceux qui restent confinés chez eux, et ceux dont les cadavres jonchent déjà les rues.


Puis tout reprend brutalement dans le quotidien solitaire du Dr Morgan. Les jours passent lentement, les nuits sont agitées par les vampires qui frappent sur ses murs, et ainsi de suite. Il ne semble y avoir aucune issue, et le métrage se fait le témoin de la langueur du personnage principale. Épousant un rythme lent, duquel se dégage une forme de désespoir.


La grande richesse de ‘’The last Man on Earth’’ réside dans sa manière de présenter la pandémie. L’arc narratif principal, qui se déroule en 1968, suit donc le quotidien de Morgan, mais grâce à sa structure en flashback, il permet d’accumuler des séquences qui mises bout à bout montrent toutes les facettes de la catastrophe.


Tout commence par une mauvaise grippe qui traine, c’est en petit dans les journaux. Puis ça devient les gros titres. Mais il est déjà trop tard, et la communauté scientifique est complétement dépassée par la rapide propagation du virus. Les personnels de santé saturent, commencent à devenir eux-mêmes victimes du mal qu’ils aident à soigner,


Les institutions faillent, et pour gérer la crise, une fois de plus, c’est l’armée qui est appelée en renfort. La loi martiale est décrétée, des mesures drastiques sont prises, desquelles sont exclues tout sentimentalisme, effaçant peu à peu le reste d’humanité de ces soldats tous semblables, les visages confinés derrière les masques à gaz. En uniformes, avec leurs mitraillettes, patrouillant dans les rues où s’entassent les cadavres.


Symbole de la chute de la civilisation, l’omniprésence martiale incarne le dernier échelon qui maintient un semblant de société debout. Mais c’est bien là un symptôme qui annonce une fin imminente. Et c’est alors que l’horreur la plus indicible, avec son lot de comportement choquants, fait place à la panique.


Il est complètement légitime de percevoir ‘’The last Man on Earth’’ comme une œuvre séminale, puisqu’elle sert, visuellement, de référence au métrage de George A. Romero ‘’The Night of the Living-Dead’’ en 1968. Année à laquelle se déroule d’ailleurs le film de Ubaldo Ragona & Sidney Salkew. Dans la conception même du mythe du Zombie, dont il impose les conventions, George A. Romero est à de nombreuse reprises dans la référence. Même si il parvient à dégager son propos de l’œuvre de Matheson, pour proposer une dimension plus moderne, plus politique, en adéquation avec la violence de son temps. Là où ‘’The Last Man On Earth’’ est relativement classique dans la forme.


Le roman de Richard Matheson connaîtra par la suite deux suites, ‘’The Omega Man’’ de Boris Sagal en 1971, avec Charlton Heston dans le rôle-titre, plus axé action, et bien moins anticipation. Puis en 2007 avec ‘’I Am a Legend’’ de Francis Lawrence, avec Will Smith dans un New-York dévasté. Un film, qui à mon goût, est en retard, avec ses zombies numériques et un propos crypto-chrétien qui pénalise grandement son propos. Invoquant l’intervention divine et non l’expression du libre arbitre, qui rend la version de 1964 bien plus angoissante et pertinente.


Mais ce n’est pas les seuls films avec lesquels il est possible de faire des liens. Jusqu’à nos jours son héritage peut se percevoir. Comme en 2002 avec ‘’28 Days Later’’, et sa séquence dans un Londres désert, qui est une référence directe avec le début de ‘’The Last man on Earth. Il en va de même en 2007 avec la représentation de la gestion militaire dans la suite ‘’28 Weeks Later’’, où l’armée ne cherche pas à faire de différence entre infectés et personnes saines.


Même une séquence complète de ‘’Gamegie’’ en 2013 se calque complétement sur l’un des moments fort de ‘’The Last man on Earth’’. Alors que le Dr Morgan assiste impuissant à la crémation par centaines, de carcasses humaines jetés, encore en flamme, dans une fosse commune creusée à la hâte par les militaires.


Il est possible de trouver ainsi de nombreux exemples de l’influence insondable qu’à pu avoir cette œuvre sur le cinéma d’anticipation, et en particulier les films d’infectés et de Zombies. Il est avec ‘’The Invasion of the Body Snatchers’’ de Don Siegel en 1956, puis la série ‘’The Twilight Zone’’ de 1959 à 1964, l’un des patrons concrets du cinéma d’Horreur et de Science-Fiction. Une réputation qu’il ne vole pas, donc, puisque 56 ans après sa sortie il demeure d’une efficacité alarmante, avec ses thématiques d’une modernité confondantes.


Sans crier au chef d’œuvres, où à la production la plus illustre de son temps, c’est bien au-delà de ces appellations formelles que se jauge la qualité de ‘’The Last Man On Earth’’. C’est une série B, tout ce qu’il y a de plus conventionnelle pour son époque, comme le cinéma mondial en proposait dans les années 1950/1960, à un moment politiquement complexe.


Le monde était alors en proie à la division entre deux modèles idéologiques.
Communiste à ma Gauche, Capitaliste à ma Droite.
La guerre nucléaire était chaque jour un peu plus une réalité plausible. Le film de Ubaldo Ragona & Sidney Salkew sort, pour exemple, seulement deux ans après la Crise des Missile de Cuba, en pleine escalade de la terreur nucléaire. La Planète tourne alors au rythme de la possibilité d’un hiver atomique. La fin du monde est à ce moment concevable, au vu de la tournure des relations internationales.


La production, d’un bloc comme de l’autre, est absolument massive, et ce sont souvent des œuvres à l’idéologie marquée, qui sous couvert d’anticipation viennent poser des questions sur l’état du monde, ou diffuser un message chargé d‘idéologie. Et il en va de la sorte pour ‘’The Last Man On Earth’’, qui a cependant la particularité d’être une production italienne. Un peu plus d’un demi-siècle après sa sortie, elle n’a rien perdu de son mordant, et d’un pessimisme de plus en plus soutenable à mesure que le temps passe.


C’est ce qu’on appelle une œuvre visionnaire. Il me semble.


-Stork._

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le 29 mars 2020

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