Un personnage aussi fascinant et complexe que Steve Jobs pourrait être source d’inspiration infinie pour un biopic de qualité. Si la performance d’Ashton Kutcher est saisissante, Jobs échoue pourtant à relever ce défi de taille.

Le script de Matt Whiteley choisit de se concentrer sur la période amorcée avec la fondation d’Apple en 1976 et achevée en 2001, année de lancement de l’iPod, éludant ce que nous connaissons le plus du fondateur d’Apple dans une démarche que l’on imagine pédagogique. Il a du être complexe de comprimer 20 ans, et à fortiori 56 ans de vie en 2 heures de film ; une démarche entraînant la suppression de bien des aspects de la biographie de l’homme et dont les effets se font cruellement ressentir sur le résultat final.

Pourtant, le parti pris du film semblait intéressant au départ, se concentrant sur le personnage plutôt que sur l’entreprise. Cependant, et c’est là le plus gros handicap de Jobs, le propos demeure tâtonnant, oscillant entre sa volonté de suivre les pas de Steve Jobs à mesure qu’il construit son empire, et celle de s’attacher à son caractère, son intimité. Le personnage, comme tout le reste, n’est que survolé, et la durée du film ne semble suffisante pour narrer en profondeur les multiples aspects de sa personnalité : son caractère volage, son attitude quasi-bipolaire, son obsession des détails notamment concernant le design, son acharnement à tout briser et recommencer à l’infini jusqu’à imposer sa vision. Ses nombreux régimes alimentaires extrêmes, sa quête infructueuse de paix intérieure, sa créativité initiée en grande partie grâce aux drogues dans sa jeunesse… L’on aurait aimé apprendre ses faiblesses, ses défauts, ce qui le rendait fascinant et effrayant à la fois. Tous ces aspects ne sont qu’effleurés ou tout simplement éludés au profit d’anecdotes pas forcément pertinentes ou intéressantes. Au final, on a le sentiment d’avoir visionné un résumé décousu de sa vie qui ne nous en apprend pas tant que ça.

Au lieu de cela, nous assistons à un point de vue quasi unique et dénué de réel parti-pris sur l’homme ou l’entreprise. Passé un premier tiers extrêmement agaçant, donnant l’impression de visionner une publicité pour Apple ou un film à la gloire du messie qu’est Steve Jobs, l’on subit un peu l’heure suivante dédiée aux premières années chez Apple et à la difficulté notoire de travailler en présence d’une telle personnalité. Seul le dernier tiers regagne notre intérêt, mais l’ensemble se retrouve rythmé de grandes envolées lyriques alors que Steve Jobs enchaîne les coups de génie et les coups de sang. Malgré le talent d’Ashton Kutcher, tout ceci semble redondant.

Car l’acteur principal est la bonne surprise de ce film, et où ses rôles précédents se cantonnaient en grande majorité à la comédie, Jobs révèle un Ashton Kutcher concentré, perfectionniste et doué. Son incarnation du CEO d’Apple nous déconcerte plus d’une fois, tant ses intonations ou sa démarche s’approchent de l’original. La voix n’est pas toujours parfaite, et c’est là que l’on réalise la difficulté de l’exercice, mais l’effort est remarquable.

Les autres personnages sont à peine distingués les uns des autres, entraînés dans le magma brouillon de l’entourage de Steve Jobs. Une poignée d’entre eux parviendront à tirer leur épingle du jeu, comme son associé Steve Wozniak ou l’investisseur Mike Markkula. Un des plus beaux moments du fil est l’émouvante rencontre entre Jobs et Jonathan Ive, future figure de proue du design chez Apple. On regrette que plus d’attention ne soit accordée à sa responsabilité dans le succès des produits Apple de ces 10 dernières années.

Au niveau esthétique, on remarquera quelques bonnes idées, renforcées par le plaisir à se plonger dans l’univers de la Silicon Valley au cours des années 80. On se demande toutefois pourquoi Joshua Michael Stern a choisi d’appliquer régulièrement une sorte de filtre sépia sur des scènes entières (Instagram sors de ce film !), les rendant d’une incomparable mocheté. La bande originale, quant à elle, reste quasiment inexistante excepté quelques tubes sympathiques des années 70 et 80. Un bon compositeur aurait pu corser l’intérêt de l’exercice.

Jobs, malgré son potentiel indéniable, souffre d’un traitement consensuel et dénué de toute personnalité. Un autre film sur la vie du créateur d’Apple est en préparation, bénéficiant semble-t-il d’une structure narrative complètement différente, divisée en trois scènes seulement. Un choix d’écriture effectué par nul autre qu’Aaron Sorkin (The Social Network), et qui n’est pas sans rappeler le discours de Steve Jobs à Stanford en juin 2005, faisant lui-même référence à trois moments-clés de sa vie.
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le 22 août 2013

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