Jodorowsky's Dune
7.9
Jodorowsky's Dune

Documentaire de Frank Pavich (2013)

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Comment parler d'une oeuvre qui ne s'est pas faite ?


J'aime certains des thèmes développés dans le docu, notamment l'idée que quelque chose qui ne se passe pas (ici un film non filmé) peut quand même avoir un impact fort sur la société, la culture, etc. C'est un peu le contretemps de l'expression "l'Histoire est écrite par les vainqueurs", et c'est aisé de se dire, devant ce film: "Damned, j'aurais bien aimé voir ça". Par contre, j'ai trouvé que le documentaire restait un peu léger sur le fond.


Dune montre comment A. Jodorowsky a réussi à monter une équipe de "guerriers" (son terme) pour faire une oeuvre destinée à "changer l'esprit des jeunes" (ses termes également), comment il est passé à ça de faire le film et en infère que les talents impliqués, au travers de leur travail de préparation pour ce film ou leurs collaborations ultérieures (Dan O'Bannon & H.R. Gieger sur Alien) ont influencé toute la SF audiovisuelle qui a suivi.


Est-ce que ça suffit à faire du documentaire autre chose qu'une réflexion utile, intéressante sur le processus de création dans l'industrie du film ?


Ce documentaire est sûrement important puisqu'il remet les pendules à l'heure: Oui, sans ce projet filmique, on aurait sûrement pas eu l'"Alien" que l'on connaît et les séquences montrant l'impact du Story Board de "Dune" sur d'autres films sont édifiantes. Oui, c'est très certainement par frilosité financière et incompréhension "artistique" que les studios américains ont refusé de terminer le financement du projet. Oui, A. Jodorowsky est un artiste visionnaire et tout autant un gourou capable de tirer le meilleur d'une équipe d'artistes.


Par contre, je n'ai pas pu m'empêcher d'être un peu mal à l'aise à certains moments. Principalement parce que j'ai toujours du mal à me dire que parce que l'oeuvre d'un artiste est passionnante (j'aime beaucoup El Topo par exemple), sa vie l'est également. Dans le cas de Jodorowsky, c'est vrai que le bougre a l'air particulièrement génial, et la manière dont il veut réaliser son art sans concession est plutôt inspirante. Mais en quoi cela nous renseigne-t-il sur le processus de création lui même ? Derrière tout ça, quel est le message qui est transmis par l'artiste et par le réalisateur du documentaire ?


Par exemple, si l'on est pas nécessairement d'accord avec la partie impérieuse du discours artistique de Jodorowski, que penser ? Le documentaire est sur la corde raide quand il s'agit à la fois de retranscrire le processus de création tel que voulu et ressenti par l'équipe du film (Jodo en tête) et de montrer l'importance du film en "mythologifiant" son statut d'oeuvre culte non réalisée. C'est un exercice difficile à accomplir sans y laisser quelques plumes.


D'un côté, j'accepte tout à fait qu'on me dise que sans Jodo et ce projet, rien ne ressemblerait à la SF qu'on connaît aujourd'hui. De l'autre, j'ai l'impression qu'on passe plus de temps à regarder des gens qui ont travaillé sur l'oeuvre nous dire combien elle est influente, combien c'était révolutionnaire, qu'il faut tout sacrifier pour l'art, et moins comment les générations futures se la sont appropriées. C'est à dire son impact réel.


J'ai également eu l'impression que le film avait du mal à explorer le lien entre l'oeuvre d'un artiste et son processus de création, pour en tirer un point de vue différent. Par exemple, c'est soulevé rapidement dans le film, Jodo a utilisé l'ensemble des travaux avec Moebius et d'autres artistes pour "L'incal" et la "la caste des Meta-barons". Mais dans ce cas, pourquoi considérer que l'oeuvre de Jodo pour ce film est incomplète ou un échec ? Dans une optique plus continue, son processus créatif se serait concrétisé à différents moments de ce processus (BD, Films, etc.). De même, le story board, s'il est classiquement considéré comme un outil, une moitié d'oeuvre, pourquoi ne pas le considérer ici comme une oeuvre à part entière ? (d'autant qu'on nous rabâche les oreilles en nous disant que personne n'avait fait ça comme ça avant...). Je pense qu'il manque un point de vue personnel à ce film.


J'ai l'impression que le documentaire n'arrive pas à aller plus loin que le banal "l'artiste doit être intransigeant et doit réaliser sa vision de l'art, coûte que coûte, quitte à en mourir" (plus ou moins dit clairement par Jodorowsky pendant le film). Avec une contribution qui n'est certes pas des moindres: même en échouant, l'oeuvre et l'artiste peut changer les choses (comment ? On ne sait pas vraiment. C'est plus juste dit et montré). Mais je reste sur ma faim. Il y a là un cas qui mériterait d'être exploré plus en profondeur: montrer comment un grain de sable (ce projet) dans les rouages d'une machine bien huilée (l'industrie mondialisée du film) en impacte l'ensemble, c'est une idée passionnante !

Draiv
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le 15 févr. 2019

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Draiv

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