Jodorowsky's Dune
7.9
Jodorowsky's Dune

Documentaire de Frank Pavich (2013)

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Jodorowsky’s Dune est un documentaire sur la démesure, le rêve et la frustration.
Sur le génie créatif surtout et sur l’enthousiasme génial majoritairement.
Mais aussi sur l’avortement, le deuil et l’héritage.

Jodoroswky est un mystique, un hérault du surréalisme que les succès des films El Topo et La Montagne Sacré ont doté d’une certaine légitimité. Assez en tout cas pour qu’on ne trouve pas grand-chose à redire quand on lui demande ce qu’il veut monter comme projet et que sa réponse est Dune.
Pourquoi Dune ? Parce qu’en plein egotrip, Jodo voulait faire un film énorme et qu’on lui a dit que Dune, le livre, c’était bien.
La lecture de l’œuvre sonne pour lui comme un signe divin.
L’espace !
Un récit messianique !
DE LA DROGUE !!
« C’est fait pour moi !! ».

Enfin bref, vous voyez un peu le personnage. Le genre qui peut faire craindre le pire sur ce genre de film.
Sauf que…
Sauf que dès le début du documentaire (et ça c’est traitre parce que tu as d’emblée envie de voir le film), Nicolas Winding Refn te sort qu’il a lu LE compendium sur le Dune de Jodoroswky, et que ç’aurait été AWESOME.
Le reste du documentaire ne fait que renforcer cette idée. Chaque membre recruté dans l’équipe est (ou en tout cas sera) une sommité. La liste des noms de ceux que Jodoroswky appelle ses Guerriers Spirituels s’allonge au fur et à mesure que les témoignages rendent compte de l’enthousiasme entrainant du réal'. Ce dernier ne tarit pas d’éloge sur Moebius qui lui dessine un story-board en un éclair, sur la musique de Pink Floyd qui cadrerait exactement à l’image qu’il se projette des Atréides, sur l’extravagance de Dali, …

Les anecdotes sont parfois cocasses (la rencontre avec David Carradine est même survitaminée), et les interviews touchantes dans la sincérité que toute l’équipe avait dans la conduite de projet, dans lequel ils se sont plongés de tout cœur. Ce sous la baguette émulatrice du chef d’orchestre de leur plein potentiel artistique que voulait être Jodorowsky. Il voulait, et on croit pleinement à cette intention, réaliser un film à l’image de son égo d’alors : plus grand que l’univers.

Ce foisonnement artistique a engendré une bible, un story board épais comme le botin de la France entière. Il est feuilleté plusieurs fois lors du documentaire, et fait l’effet d’un Précieux. Hypnotique, tentateur, envié, gavé à ras bord des dessins de Moebius, de Giger, de Foss, seul témoignage réel de cette démarche, ce pavé tient à la fois du nouvel objet de culte et de la pierre tombale du projet (épitaphe incluse).
N’ayant pu convaincre les studios américains de tourner le film, malgré ce travail préparatoire minutieux, où même les détails techniques de faisabilité des effets spéciaux avaient été étudiés, Jodorowsky et son producteur durent lâcher l’affaire.

Tout en soulignant le coup dur que fut cet arrêt, le documentaire s’attache à célébrer la rémanence de l’esprit du Dune de Jodorowsky sur la SF. Des plus évidentes (les Guerriers Spirituels qui s’associent pour des projets ultérieurs) aux plus insidieuses, exposant le pillage par Hollywood de pans entiers du storyboard, il permet au spectateur de se rendre compte que l’influence du projet avorté devient alors une part essentielle (au sens propre) du cinéma fantastique (et même jusqu’à maintenant).

Le réalisateur du documentaire a eu la bonne idée d’animer certaines cases du storyboard, donnant presque vie au film en lui-même, et donnant surtout une idée assez précise de ce qu’on aurait pu voir sur grand écran en terme de mise en scène. Il sauve surtout un genre plutôt statique (le docu) sur un film dont ne peut avoir d’images réelles, malgré les illustrations abouties et particulièrement réussies.

Il se dégage de ce docu comme une magie : le film en lui-même n’a pas de réalité, il est mort sans avoir pu bénéficier d’une matrice, mais l’émulation dans laquelle s’est déroulé sa longue conception, l'orgie artistique dans lequel ont baigné ces guerriers spirituels est totalement fascinante et emporte l’adhésion quant au résultat que personne ne verra jamais.

La conclusion du documentaire, je la laisse au générique de Manimal : « mon fils, il faut avoir la foi, [la mort] n’est pas la fin… c’est le commencement ! » .
T_a_n_u_k_i
8
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le 12 févr. 2015

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T_a_n_u_k_i

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