Jodorowsky's Dune
7.9
Jodorowsky's Dune

Documentaire de Frank Pavich (2013)

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J’ai enfin vu ce documentaire ! Depuis le temps qu’il m’attire, depuis le temps que Jodorowsky m’attire. J’ai enfin sauté le pas. Maintenant que dire ? Que c’est probablement le plus grand nonfilm de tous les temps, sur le plus grand ouvrage de l’histoire de la science-fiction à l’univers le plus vaste et démentiel ? Certes.


On y apprend beaucoup de truc sur ce fameux projet d’adaptation de Dune. C’est totalement impartial mais tellement sincère. C’est comme si, pendant 1h30, Alejandro Jodorowsky nous raconte son rêve, et comment il a pu le toucher du bout des doigts. On comprend que le plus dur était déjà fait. Par exemple, l’équipe technique était déjà connue, et le casting est démentiel, à commencer par le cerveau et réalisateur : Alejandro Jodorowsky. Le chilien a voulu le meilleur pour son film, qu’importe le prix, il voulait du talent et de la créativité. Pour les graphismes, Jodo a fait appel à des petits jeunes qui commencent à faire parler d’eux dans l’univers artistique : Moebius, Hans Ruedi Giger, Chris Foss et Dan O’Bannon. Hormis ce dernier avec Dark Star de Carpenter, tous sont novices dans le cinéma. Ils ne le resteront pas très longtemps vu qu’on les retrouvera tous, sans exception, quelques années plus tard au générique d’Alien de Ridley Scott. Excusez du peu.


Côté acteur, c’est du Jodorowsky craché, avec en premier lieu son fils, Brontis, déjà vu dans El Topo, dans le rôle de Paul, le héros et Jésus de l’univers. En guise d’acteurs secondaires ? On retrouve modestement David Carradine, Mick Jagger ou encore Udo Kier. On retrouve également Orson Wells en grand méchant de l’univers et Salvador Dali en grand empereur de l’univers. Les « castings » des deux monstres sacrés ont été à l’image des deux hommes : classes et surréalistes. Et enfin, cerise du le gâteau, la BO aurait dû être composée par Pink Floyd (pour les gentils) et Magma (pour les méchants). J’en bande !


A la vue du storyboard, on se rend compte, au fur et à mesure, que le projet et l’ambition de Jodorowsky n’ont pas de limites. Un vrai travail de cinglé ! Le projet qui se doit de surpasser 2001, de ringardiser Star Wars avant même sa naissance. Et ça commencerai très fort dès le début avec un long plan séquence à travers l’univers, « à la 2001 », sorti de l’imaginaire conjoint de Jodorowsky et Moebius. Le pré-adolescent qui est en moi se rend compte qu’il peut se faire venir au cinéma par d’autres moyens que la simple présence de Scarlett Johansson.


En somme, plus qu’un monument raté, ce documentaire nous montre toute la folie et la passion pour le cinéma de Jodorowsky. Ces dernières années, on parle beaucoup de « la mode » de briser le 4ème mur au cinéma, ici, les 4ème, 5ème, 6ème, 27ème, 38ème, 100ème murs auraient été brisés. On ne saura jamais vraiment jusqu’où les limites du possible auraient pu être repoussées. Jodo le dit lui-même :



Je veux faire un film qui vous fera ressentir les effets du LSD, sans
prendre de LSD.



Alejandro Jodorowsky est un gourou. Il motive sa secte de jeunes créatifs talentueux en leur laissant les pleins-pouvoirs, chacun dans leur domaine, mais tout en gardant la même ligne directrice. Cette ligne directrice se résume à un état d’esprit commun pour chaque protagoniste. Ils ne veulent pas le meilleur, ils veulent plus. Ils veulent réaliser l’impossible. Jodorowsky le sait, chaque membre de l’équipe, chaque personne intégrée au projet, est le meilleur dans son domaine. Le meilleur et surtout celui qui se pose le moins de limites, avec pour seul leitmotiv : tout ce qui est imaginable est réalisable.


C’est sans doute ce leitmotiv qui aura eu raison de la réalisation de ce projet. Peut-être que pour certains, « impossible is nothing », mais dans la vraie vie, impossible is impossible. Pourtant ce n’est pas passé loin, le plus dur était fait. Il ne restait qu’à convaincre les producteurs hollywoodiens de sortir de leur frilosité ambiante. Avec le français Michel Seydoux comme producteur principal, il ne manquait « que » 5M pour faire le film. Pour un budget total estimé à 15M, soit 3 de plus que 2001, sorti 10 ans auparavant. Et dire qu’aujourd’hui, la plupart des gros blockbusters merdiques qui sortent au cinéma ont des budgets aisément supérieurs à 100M. Monde de merde. Alors certes, je n’ai pas pris en compte l’inflation, mais en y tenant compte, le budget aurait été d’approximativement 66M. Une broutille pour un projet, certes risqué, mais potentiellement révolutionnaire.


A vrai dire, ce n’est sans doute pas le film qui a effrayé les producteurs, mais plutôt le réalisateur. Jodorowsky, bien qu’éloigné de l’univers d’Hollywood et des paillettes, est déjà réputé dans le milieu pour son caractère imprévisible, presque incontrôlable. Le meilleur exemple étant la volonté de celui-ci de faire un film d’une durée indéfinie, « un film de 12h, voire même 20h », alors que les producteurs réclamaient quelque chose d’1h30 qui faciliterait la diffusion ciné et effrayerait moins les spectateurs. Comment peut-on standardiser et mettre des barrières à un projet qui, justement, refuse catégoriquement de s’en mettre, et qui, au contraire, a pour unique objectif de créer une oeuvre unique et révolutionnaire. Les studios voulaient le talent de l’équipe technique, sans le gourou qui pourrait tout faire sortir le film de son droit chemin. C’est pour ça que, quelques années plus tard, est sorti Alien, avec les mêmes protagonistes, excepté Jodorowsky. Film devenu la référence culturelle que l’on connait actuellement, considéré par beaucoup comme étant avant-gardiste. Et dire que c’était une sorte de Dune version plus soft et raisonnable. J’me répète mais on est définitivement passé à côté de quelque chose de très grand.


Au final, en plus d’avoir tué le film, Hollywood a tué l’ambition, l’audace, l’espoir et l’envie de Jodorowsky. Les studios ont fait passer un message, « tu peux oser, mais pas chez nous ». L’argent primera toujours sur la créativité artistique. Hashtag Tristesse. Cependant, l’aventure Dune s’est finie sur une note positive pour le réalisateur chilien :



Je ne voulais pas voir le film de David Lynch, car j’admire David
Lynch, c’était le seul qui pouvait le faire, qui pouvait réaliser mon
rêve, j’en serais mort. Mais plus le film avançait, plus j’étais
heureux. Car le film était horrible, c’était raté.



C’était son rêve ! Alors si lui n’avait pas l’autorisation pour le réaliser, personne n’avait le droit de le faire à sa place. Le projet était peut-être voué à rester un mythe, une chimère, un objet de désir. Une chose est toujours plus belle lorsqu’on la convoite que lorsqu’on l’a réellement entre ses mains. Peut-être que ce film aurait été un flop, peut-être qu’il aurait été le plus grand film de l’histoire, personne ne le saura jamais.


Jodorowsky est donc voué à rester un éternel incompris du cinéma mondial, un personnage unique avec sa propre vision de son art. Dans le documentaire, il a cette tirade géniale à propos de son adaptation de Dune :



Pour faire un film, on ne doit pas respecter le roman. C’est comme
quand on se marie. On part avec la femme tout en blanc. Si on respecte
la femme, on n’aura jamais d’enfants. Il faut ouvrir la robe et violer
la mariée. C’est pareil avec un film. J’ai violé Frank Herbert. Mais
avec amour.



Jodorowsky, c’est ce mec qui vient en soirée, qui ne respecte pas le dress code, qui est aimé de tous mais dont l’audace peut être autant respectée que jalousée. C’est le mec qui ne laisse personne indifférent, qu’on aime mais à qui on ne ferait pas confiance. Jodorowsky c’est tout ça et plus à la fois, un OVNI imprévisible, qui fait peur mais surtout qui fait terriblement du bien à un milieu bien trop stéréotypé malgré sa diversité.


Je mets 10 au documentaire et au film que j’ai pu voir sans le voir. Je mets 10 à l’ex futur plus grand film de tous les temps. Je mets 10 au film qui a inspiré Star Wars, Indiana Jones, Alien, Terminator et des centaines d’autres films. Je mets 10 à l’idée la plus folle qui aurait pu se concrétiser. Je mets 10 au rêve que j’en fais. Je mets 10 au rêve de Jodorowsky.

blajc
10
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le 18 févr. 2016

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blajc

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