Il y a de cela deux semaines, « 1917 » de Sam Mendes sortait dans les salles, apportant par là-même une réponse magistrale à cette question que je me posais jusqu’alors : « que peut-on encore raconter de neuf sur la Première guerre mondiale ? »
Aujourd’hui, c’est au tour de Taika Waititi d’ajouter sa pierre à l’édifice, mais ce coup-ci au sujet du second conflit mondial. Et moi je trouve que ça fait quand-même du bien…


Parce que bon – on ne va pas se mentir – on a déjà un peu tout raconté sur la Seconde guerre mondiale, sur le nazisme ou sur la Shoah. Et pour justifier la pertinence d’un nouveau projet sur ces sujets-là, selon moi, un artiste se doit au minimum d’oser une approche originale ; un regard singulier.


Alors oui, avec Taika Waititi, tout cela aboutit à un spectacle singulier composé d’étranges camps de scouts à la « Moonrise Kingdom », où tout est cool, sympa et choupinou à souhait. Ces bons vieux nazis se transforment en icones gentillettes pour enfants et ce bon vieux Adolf Hitler devient l’ami imaginaire le plus inattendu d’un conte pour enfants.
Alors oui, tout cela se veut bien évidemment décalé même si, en soi, Waititi n’opère pas tant que ça de réelle rupture dans le traitement du nazisme.
Au contraire, il participe plutôt à une dynamique assez longue de réappropriation de cette figure dans l’imaginaire collectif. Des méchants emblématiques d’ « Indiana Jones » aux catcheurs du IVe Reich de « Rio ne répond plus », la désacralisation du soldat hitlérien n’est pas ici une nouveauté, c’est vrai. Par contre, le fait de la poser ainsi comme figure centrale d’un film – qui plus est associée à ce genre de propos – ça, a contrario, c’est tout de même assez culotté. Et surtout c’est intrigant.


Mais bon, passées les belles idées décalées affichées fièrement dans la bande-annonce, qu’est-ce que ce « Jojo Rabbit » a à nous offrir comme proposition de cinéma ?
Eh bien au départ je dois bien avouer que les trois premiers quarts d’heure ont eu du mal – chez moi – à suivre la cadence et la démence des premières minutes. Une fois le postulat de départ posé, j’ai eu l’impression que ce « Jojo Rabbit » ne savait plus trop sur quel pied danser, abandonnant vite l’irrévérence de ses débuts au profit d’une intrigue plus classique et consensuelle à base de jeune-fille juive qu’on se doit de cacher dans une maison.
Et même si par moments quelques piqûres de belles absurdités savent rappeler l’état d’esprit originel, je dois bien avouer que malgré cela, j’ai eu l’impression à plusieurs instants qu’une certaine forme de promesse s’est soudainement trouvée non tenue.


Parce que le problème de ce « Jojo Rabbit » c’est qu’au fond il devient vite très sage.
Quand on a Hitler en tant que meilleur pote, on est en droit d’attendre des trucs un peu plus atroces que ça en provenance de sa bouche. Si le but était justement de créer un décalage en observant le nazisme au travers du regard enchanteur d’un jeune membre de la Hitlerjugend, alors il aurait vraiment fallu aller jusqu’au bout de la démarche et pousser dans les deux extrêmes : l’imagerie abusivement idyllique d’un côté (là-dessus on est bon), la cruauté sans borne de l’autre (et là-dessus, on n'est clairement moins bon).
Du coup, sur tout le milieu du film, on se retrouve carrément à se dire que ce « Jojo Rabbit » est en train de nous faire la morale avec pleins de bons sentiments. De quoi en désappointer plus d'un.


Malgré tout, ça n’a pas pour autant enterré ce « Jojo » dans mon cœur.
Car à défaut d’aller là on pensait qu’il irait, ce film finit quand-même par aller quelque-part, et plus il avance plus il démontre que toute sa démarche était depuis le départ réfléchie et cohérente.
Ce film a quelque-chose à dire.
Et il a choisi un ton pour le dire.


Car au final il n’y a rien d’innocent et de gratuit dans cette idée de transformer cette guerre en terrain de jeux pour enfants.
En faisant cela, Taika Waititi parvient à aborder le nazisme autrement, l’émancipant du poids émotionnel de l’imagerie traditionnelle de la guerre.
Pas de montagne de cadavres ni d’exaction sur les populations.
Pas de train de déportés ou de famines.
Non, tout ça on ne l’aborde que de manière très abstraite à travers les yeux de Jojo.
Des idées qui ne prennent d’ailleurs seulement sens que lorsque sa mère se décide à lui montrer ce qu’il ne veut pas voir. Quand elle décide de casser ses fantasmagories hitlériennes sans chercher à casser pour autant ses fantasmagories propres à l’enfance.


…Et quand on sait comment finira sa mère, l’idée de l’émancipation de l’individu par la confrontation au réel prend tout son sens.


Alors certes le discours n’est pas nouveau et d’aucun le trouveraient simpliste.
Dire que le nazisme a profité d’un certain sentiment de perdition, de désespoir par rapport aux repères traditionnels et que l’hitlérisme est venu s’imposer comme une figure de substitution sachant jouer sur l’émotion et la valorisation des plus faibles, cela peut certes paraitre réducteur et pas très original.
Mais à nous faire vivre ça justement dans un monde d’enfants – car ici même les adultes sont de grands enfants qui se déguisent, qui dansent et qui jouent – « Jojo Rabbit » permet néanmoins d’ouvrir une perspective dépouillée qui n’est pas non plus sans intérêt.
Oui au fond tout ça était un peu absurde. Peu rationnel. Stupide et risible.
D’ailleurs le film ne cherche jamais des raisons ou des coupables.
Il se contente juste de sourire de cet égarement collectif et de rappeler quelques fondamentaux.
Il rappelle qu’au fond la différence entre ce monde-là et un monde où on danse ne tient à pas grand-chose. Il tient à des rencontres. Il tient à des drames. Et surtout il tient à une certaine éducation à soi et aux autres.


Et ce simplisme et ce moralisme qui pouvaient se révéler comme une faiblesse pendant un certain temps devient soudainement une force.
« Jojo Rabbit » bascule progressivement de la caricature moqueuse à une fable tendre qui n’aspire qu’à réduire toute cette affaire qu’en une simple mais belle histoire d’enfants – et surtout d’enfances – en quête d’une nouvelle jeunesse.


Ainsi, l’un dans l’autre – et comme vous l’aurez certainement compris – ce « Jojo Rabbit » m’a quand même globalement acquis à sa cause.
Et même s’il est inégal et parfois un brin maladroit, j’ai adoré qu’il sache me faire une proposition dans ce genre.
J’ai apprécié cette imagerie d’un « Moonrise Kingdom » dans un contexte de IIIe Reich.
J’ai apprécié certaines réussites de mises en scène...


...notamment cette manière habile d'amener la mort de la mère par le fait d'insister sur ses chaussures.


Et surtout j’ai apprécié cette générosité globale qui transpire de partout et notamment de ce message fédérateur appelant gentiment à une jeunesse plus sereinement enchantée.
Pour tout ça, pour cette audace et cette prodigalité, j’aime « Jojo Rabbit. »
J’aime sa manière de chercher à enrichir les regards et à faire vibrer les cœurs.
En somme j’aime sa façon par laquelle il a cherché à entretenir ce souffle de vie qui parcourt cet art merveilleux qu’est le cinéma…

lhomme-grenouille
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le 29 janv. 2020

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