Préface



Taïka Waititi est quelqu'un de très spécial. Un rigolard capable de faire semblant de dormir en public lorsque vient sa nomination aux Oscars. Un des rares réalisateurs actuels à avoir compris cette inventivité qui faisait des comédies quelque chose de magnifique. Quelqu'un qui a compris que l'humour ne sert pas qu'à faire rire. Bref, Taika Waititi est un comique, mais aussi, Taika Waititi est un réalisateur, peut-être même LE réalisateur, celui qui ramènera au rire ses lettres de noblesse. Un réalisateur qui sait quel timing, cadrage et montage employer pour exploiter tout le potentiel d'une gaffe visuelle digne des meilleurs screwball comedies, qui sait écrire une plaisanterie méta ou frontale et l'articuler de façon à ce que le sourire qu'elle suscite soit permanente et son utilisation inépuisable.
Mais surtout, Taika Waititi n'est autre que...attention, spoiler...


Korg, du Marvel Cinematic Universe !


Voilà. Maintenant on peut commencer...



Critique



Reconnu au début seulement par de petits cercles de cinéphiles, Taika Waititi s'est fait connaître en un délai fulgurant comme l'un des meilleurs réalisateurs comiques actuels, en se positionnant là il se ferait facilement entendre et en visant toujours juste dans son humour à la fois visuel et textuel. Attendu tant pour ses projets futurs, ce qui était attendu au tournant était son prochain film, une comédie satirique centré sur un enfant dans l'Allemagne Nazi. Une prémisse qui trouve son empreinte dans le courant actuel où l'extrême droite se fait de plus en plus entendre.


Jojo Rabbit a non-seulement un bon propos à faire valoir mais il est en plus rempli de bonnes idées. La grâce à un réalisateur qui pioche dans les bonnes inspirations (outre Le Dictateur) qui ne sont pas les plus évidentes. La meilleure et, osons le dire, la plus osée, celle de faire du héros un petit garçon tellement passionné par Adolf Hitler qu'il en a fait son ami imaginaire.


Le film est donc porté par un enfant nazi jusqu'à l'os, reflétant une jeunesse en quête de repère se laissant endoctriner par les idées des aînés. Cette idée à elle seule illustre tout le propos humaniste de Waititi, ne jugeant personne, ne faisant aucun amalgame, il démontre que le racisme est avant-tout une histoire d'idées préconçues portées par une peur injustifiée. Il n'inspire jamais la colère ou l'énervement à reproduire et répéter les pires enseignements fascistes, il les exécute toujours de façon innocente tel l'enfant qu'il est, ne faisant qu'émuler les gestes que les nazis ont rabaissé au rang de jeux pour gamins.


Une ambiance malsaine que le réalisateur parvient toujours à rendre regardable et réflectif, soit avec son humour, soit en la contextualisant dans une situation plus confortable pour le spectateur, souvent à moyen de la vision enfantine du petit. Un entraînement pour la Jeunesse Hitlerienne ressemble à une colonie de vacances, Hitler dont la présence se résume à celui d'un papa bouffon par Waititi lui-même. Ce dernier réussit toujours à détourner le sens de la propagande pour en faire une blague ayant la même force évocatrice. On notera les multiples préjugés caricaturaux enseignés sur les ennemis du Reich représentés comme des monstres de livres pour enfants démontrant tout le crétinisme de l'endoctrinement ou les saluts nazis répétés nonchalamment jusqu'à l'absurde.Tout un matériel parfaitement dirigé qui gagne en intensité lors d'une dernière partie où Waititi retourne intelligemment tout le sens derrière ses précédentes plaisanterie pour en faire rejaillir les facettes les plus sombres, où l'enfant devient témoin de l'effondrement de ses convictions pour servir de prétexte à des sacrifices inutiles au nom d'une vision mortifère.


Cette fin ne pouvait pas être aussi bonne si elle ne profitait pas d'une évolution aussi maîtrisée, et elle le doit à ses personnages hauts-en-couleurs. Que ce soit la mère de Jojo cherchant à maintenir l'étincelle de vie enfantine en lui, Elsa la jeune Juive cachée chez lui, le capitaine Klezendorf et dans une moindre mesure, Hitler lui-même; chacun d'entre-eux est lié au héros tout en étant opposés les uns les autres. C'est donc en étant dans une position délicate aux conflits constants que le petit Jojo doit apprendre à faire des choix et des actes des deux côtés de la morale pendant que chacun de ses contacts tentent de le tirer vers leur mode de pensée. Waititi égare de plus en plus son personnage mais lui donne toujours plus de repère pour se raccrocher. Un coup de foudre, une mauvaise plaisanterie, une imposture ou même un deuil sont des moments clés qui dynamisent le récit et renouvellent la rencontre entre petit garçon avec son enfance après l'avoir troqué contre une société qui ne donne aucun autre choix à ses citoyens que de suivre les étiquettes prescrites.


Jojo Rabbit est un film avec beaucoup de cœur qui aborde ses thèmes avec simplicité. Il ne juge pas les personnes qui donnent leur libre-arbitre à autrui, il montre que l'identité que les autres nous collent est facilement remplaçable, qu'il n'est jamais trop tard pour être une bonne personne capable de faire le bien et surtout, que la vie mérite d'être célébrée en dansant (de préférence sur Hero de David Bowie).


(Et aussi qu'on devrait tous rouster Papadolf d'un bon coup de pied dans ses burnes. Pas très productif mais extrêmement jouissif).

Housecoat
8
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le 2 févr. 2020

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