L’éparpillement du DCEU après échec artistique continue, et parmi les ruines de la Justice League, ce qui a toujours marché rejoint maintenant ce qui marche, et ce sous les atours de la nouveauté par la grâce de l’art et essai. Donc, après le prologue d’Aquaman en 1985 et avant Wonder Woman 1984, DC-Warner sort son Joker et l’antidate de 1981, parce que les années 1980, ça marche toujours bien et que ça rappelle la naissance du Batman qui fait du beurre, et parce qu’il est plus facile de repartir en arrière en oubliant Leto que Ledger. Mais aussi parce que le fusil à un coup, c’est toujours moins risqué qu’un univers partagé, sans oublier que le coup de l’antihéros avait plutôt bien réussi à Suicide squad, même si le film ne valait rien. Et puis, ça pourrait peut-être marquer le début d’un nouvel univers, donc d’un succès digne de l’Arrowverse, et ça pourrait par exemple s’appeler DC Black, du moins si l’on en croit des producteurs plus intéressés qu’avisés, lesquels auront au moins réussi à convaincre Joaquin Phoenix de s’y coller.


Mais Venise a changé la donne, car la Mostra a beau être corsetée comme un Festival de Cannes, elle a conclu les années 2010 en donnant son Lion d’Or à un film de super-héros ! Donc, soit le jury a abusé du caffè corretto ou du limoncello, soit le film est cette autre chose qu’on n’attendait plus, ou cette autre voie à laquelle on ne croyait plus… D’ailleurs, même la presse américaine s’est divisée, car les publications spécialisées ont loué le geste cinématographique, mais les autres, craignant peut-être un nouvel Aurora, ont blâmé la console de jeux pour les nuits passées à jouer !


On peut dire que c’est la dernière mue, après Burton et Nolan, d’un personnage et de son cinéma, ou plutôt parler du travail sur le rire, quand les rires sont les pleurs d’un être qui se fraye son chemin dans un autre, avant d’en faire une marionnette dansant le nihon-buyō. On peut aussi dire que les années 1980 valent cette fois plus pour le fond que pour la forme, en devenant l’écrin social d’un monde tagué, du métro sordide aux émeutiers masqués, ou que le travail sur les cordes approfondit le propos, quand celui sur la photographie l’épaissit. Le fait est que ce film laisse quelque-chose et ce quelque-chose reste sur la poitrine, à moins d’être un fan endurci, critiquant la réécriture de l’assassinat des Wayne pour ne pas être la meilleure, alors qu’il s’agit à ce moment-là d’une double naissance, ou le doute trop longtemps maintenu sur l’ascendance de l’antihéros, et la multiplication des masques en écho distordu à The dark knight rises. A moins d’être un critique idiot, cherchant à comparer ce film à The king of comedy plutôt que d’admettre son ambiguïté, ou à parler de descente aux enfers malsaine alors qu’il y a des hauts même s’ils sont faux, il faut admettre que cette prequel autonome s’impose comme le premier film de super-héros de l’ère Marvel méritant le nom de film, prouvant qu’il manquait quelque chose là où tout paraissait plein, que ce quelque chose porte désormais le nom de Joaquin Phoenix, et qu’un spectateur doit parfois se sentir chahuté pour se rappeler qu’il a la liberté d’interpréter.


Pour public averti (et moins américanisé que la moyenne, mais capable de saisir cet arrière-plan associant la culture populaire qu’à la tradition du stand-up) : Joker (2019) de Todd Phillips (dont il est difficile de déterminer le rôle exact, entre homme de paille laissant le champ libre à Phoenix, et faiseur de comédies passé sincèrement du rire au rire jaune), avec aussi Robert De Niro (qui sert de père de substitution au personnage principal, mais qui apparaît comme le signe concluant de la filiation avec Scorsese) et Frances Conroy (qui sert quant à elle de mère de substitution, mais qui avait préalablement donné et pour DC et chez Scorsese)


Avis publié pour la première fois sur AstéroFulgure

Adelme
7
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le 9 oct. 2019

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