Pour un film basé sur un personnage de comic book, il n’est pas sorti sans faire parler de lui. Entre le Lion d’or à venise ainsi que la polémique suscitée par sa bande-annonce, accusant le film de faire l’étalage du suprémacisme masculin ou blanc, ce qui, après visionnage en salle, rend risible l’accusation qui lui a été porté.
Dixième réalisation de Todd Philips, le film conte l’origin story qui a permis de faire d’Arthur Fleck le Joker. Individu à la marge n’entrant pas dans la norme du fait de ses problèmes psychiatriques, il est méprisé par la société dans laquelle il vit, laissant au loin toute possibilité d’avoir un point d’ancrage qui permettrait d’éviter l’issue qu’on lui connaît. Il est semblable à certains égards au personnage de Robert de Niro dans Taxi Driver, tous deux sont des bombes à retardement dans l’expression de la violence.
Au-delà de la simple origin story, Todd Philips a voulu faire un film qui se démarque des produits calibrés et lisses que sont les films de super-héros sorti ces dernières années, cherchant à bousculer les schémas hollywoodiens en reprenant son inspiration dans le Nouvel Hollywood, qui paradoxalement, est la même mouvance qui a permis à long-terme le retour d’Hollywood à délaisser les films à petit et moyen budget à but artistique pour un retour à des films à gros budget créés dans le seul but d’amasser un maximum au box-office, notamment en partie grâce au succès pharaonique de Star Wars ou encore des réalisations grand public de Steven Spielberg.
Film loin de toute idéologie politique, le welfare state de l’Amérique libéral est dénoncé pour l’abandon des personnes fragiles et des classes les moins aisés en coupant les crédits aux services sociaux de Gotham, enfin et surtout à travers le pseudo-progressisme de Thomas Wayne qui est l’un des hommes les plus riches de la ville et des émissions TV américaines où sont dénoncés l’hypocrisie d’une société et d’une Amérique se voilant la face sur sa propre violence. Aussi est-il dommage d’avoir délaissé la piste d’un fils caché de la famille Wayne, cela aurait été une idée scénaristique intéressante en donnant un tableau moins propre aux parents de Bruce.
Quant à la narration, elle est à l’image du personnage étudié, aussi parfois chaotique que lui. Le réalisateur nous emmène sur de fausses pistes, où Arthur Fleck s’est juste inventé toute une histoire entre sa voisine et lui, ce qui permet aussi de mettre en doute la véracité d’une des dernières scènes du film, où celui-ci est glorifié comme un révolutionnaire car une fois le plan terminé, la transition est faite brutalement sur le Joker à l'asile. Laissant le spectateur libre d’interpréter le métrage comme une immense « blague » de la part du Joker dont seule la dernière scène est ancrée dans le réel. Ce qui prête à confusion.
Bien qu’objet filmique non sans intérêt, il n’est pas non plus le chef d’œuvre annoncé, avec sa mise en scène cherchant parfois trop à être « stylée » sans l’être comme cherchant le mirage du « grand film » et dont la réputation est flouée par l’attitude excessive d’individus sur internet comme des critiques. Néanmoins, on peut lui trouver des qualités sur la proposition scénaristique, sur sa direction artistique, un Joaquin Phoenix habité par son personnage ainsi que par les choix musicaux qui ont été fait. À propos de musique, Todd philips, par esprit de provocation sans nul doute, quoique par esprit de rébellion adolescente face à une « woke culture » qu’il entend dénoncer dans une interview accordée au Vanity Fair, s’est permis d’introduire une chanson de Garry glitter : Rock & Roll part 2 ; l’artiste derrière étant connue pour pédophilie et abus sexuel sur mineur. Anecdote morbide mis de côté, on se laisse à dire que d’un film sympathique, certains outre-Atlantique n’en font pas tout un foin juste par esprit d’opposition face à certaines personnes par le cliché qu’ils se font d’un groupe.
En parlant des déclarations faites au Vanity Fair à propos des comédies, est-il possible que Philips n’ait pas laissé un petit message à l’attention des spectateurs notamment lorsque le Joker sort que « l’humour est subjectif » voire ne projette pas sur le personnage son insuccès critique dans la comédie ? Ce qui donnerait l’impression d’un réalisateur mégalo qui aurait besoin de se sentir valider socialement tel un Uwe Boll ne supportant pas qu’on se moque de ses réalisations. Il me semble contradictoire de dénoncer une culture de domination sur des personnes modestes et discriminées puis dans le même temps ignorer celles-ci lorsqu’on les rabaisse en les dénigrant sous un label de « woke culture » (je parle surtout de sa critique par rapport à une frange de gens, pas de sa filmographie) tout en leur reprochant son propre manque de succès.
Au fond, on ne peut reprocher qu’à Joker de ne pouvoir que gratter la surface de sa source de travail et que le personnage du Joker comme le reste du film ne soit pas mieux écrit afin de dépasser la dénonciation démonstrative avec un protagoniste se débarrassant de considérations morales. On reste ici sur une photographie tout à fait convenable (bonne mais sans grand impact) et il n’est pas non plus très difficile de faire mieux sur ce plan là que les derniers films du MCU répétant ad nauseam la même recette. On peut même dire que Joker est au-dessus du lot. Il serait également une erreur de chercher une interprétation moraliste dans le Joker, ce n’est pas un film qui va conforter la logique manichéiste, mais dresser une étude de caractère et dénoncer l’abandon des populations fragiles pour préserver les plus riches. Si on en vient comme on a pu le voir ces derniers mois à faire un rapprochement du film avec les tueries de masses aux Etats-Unis du fait des incels ou de groupes racistes, ce ne sera qu’à travers le prisme moraliste d’une Amérique traumatisée par ses démons, empêtrée dans son culte de l’armement et dont l’analyse est biaisée par une bande-annonce qui ne montre pas le film tel qu’il est réellement.