Comme l’aurait qualifiée un certain président des Etats-Unis, Gotham city est un « shithole », et une « rat-infested city ». Chômage de masse, pauvreté, saleté, insécurité, corruption, violence… Mais également inégalité flagrante dans la distribution des richesses, les habitants n’ont aucune bienveillance les uns envers les autres.
Tout est gris, bétonné, tagué, moche, bref : inhumain. Gotham city est une vraie poudrière, à un cheveu d’une crise sociale et politique.
C’est dans cet environnement hostile que nous rencontrons Arthur Fleck.
Forçant un sourire à l’aide de ses doigts, une larme coule sur sa joue.
Clown professionnel, il survit difficilement grâce à ces piètres prestations. Atteint d’un handicap le faisant rire en situation de stress ou de malaise (ainsi qu’une série d’autres troubles psychologiques pour lesquels il est médicamenté), il est pour le moins « bizarre ». Mais plus important : il est profondément malheureux du monde qui l’entoure. Très seul et incompris, il échappe à sa réalité et à la déshumanisation de ses semblables en regardant des humoristes, et en rêvant d’en devenir un lui-même.
Face à l’incapacité à renouveler ses traitements (à cause d’une série de conjonctures socio-économiques) ajoutée aux tristes découvertes qu’il fait sur son passé, le tout saupoudré d’agressions physiques et de moqueries gratuites et régulières, Arthur perd pieds.
Au début du film, le rire maladif du Joker a quelque chose de ridicule. Effectivement, nous aussi on ricane. C’est un pauvre type qui n’a pas la lumière à tous les étages. Mais ce même rire, constamment asséné tout au long du film, devient de plus en plus hystérique et inquiétant. Jeté en pâture à ses idées noires, Arthur va mal, de plus en plus mal, et c’est impuissant que le spectateur assiste à sa chute dans le nihilisme le plus total.
Et c’est ainsi que le mythique Joker vînt au monde : dans le sang et le feu de la révolte, révolte dont il deviendra par ailleurs le symbole.
L’interprétation de Joachim Phoenix est tout bonnement magistrale. Super looké et n’ayant rien à envier à Heath Ledger en la matière, ce sont les expressions et surtout la gestuelle qui sont minutieusement travaillées, et qui portent en elles à la fois le pathétisme d’un SDF et le charisme d’un gourou.
Le scénario est bien huilé : pas de scènes ni de personnages inutiles dans ce film. Chaque scène apporte des éléments clés de l’histoire, qui contribuent tous à façonner le Joker.
La réalisation est musclée : pas de longueurs ou de silences inutiles non plus. Telle la batterie d’un Gary Glitter, s’alternent à un rythme régulier scènes dramatiques, scènes comiques, scènes violentes, scènes grandiloquentes, et rebelotte. Et re rebelotte. On ne s’ennuie pas une minute.
Dans cet univers « rétro-crado » où la photographie se veut parfois aussi chaleureuse qu’un coucher de soleil, l’ombre du Joker se projette inéluctablement sur les murs Gotham. Et son désespoir envahit les esprits.
Le Joker traite de la violence dans nos sociétés. Ce film rejette la responsabilité sur tout le monde et sur personne à la fois. En définitive, il la rejette sur la cruauté qui germe dans les milieux les plus laids de notre monde, riches comme pauvres, ceux-là même que les médias traditionnels s’évertuent à balayer sous le tapis. Peut-être est-ce pour ça que ces mêmes médias détestent autant le Joker.
Un chef d’œuvre de cette décennie.
EDIT (2020.09.16) : Je baisse ma note à 9/10, pour assurer une certaine cohérence avec mon barème et mes autres critiques.