Ceci n’est pas une pipe


Certains y ont vu une ode à la révolution, un film quasi révolutionnaire, d’autres le meilleur film de 2019 (sic), moi j’ai vu un type rire et danser pendant 2h. Cela dit, le film n’est pas entièrement à jeter mais je ne vais pas m’attarder sur ces bons côtés (tout le monde le fait déjà assez).


Honnête résumé de ce qu’il se passe à l’écran


Un comédien raté souffrant de troubles mentaux et qui rit comme un imbécile sans arrêt, sans le sou et évoluant dans un monde bouffé par l’insécurité et la violence. Rire Ce pauvre être se fait d’abord tabassé par des enfants avant de se faire maltraiter par des cadres en costards dans un métro miteux (chose somme toute assez courante). Rire Notre fou les tue sans ménagement. Rire Danse


Il vit d’ailleurs avec sa mère, lobotomisée par la télé qui s’abreuve des discours méprisants des politiciens envers les classes pauvres. Rire Arthur apprend par la suite que sa thérapeute va fermer boutique, l’état coupe les fonds. Rire Dire bonjour à une femme dans ce monde suffit à en faire une potentielle amoureuse ainsi Arthur se rapproche de sa voisine qu’il invite à son one-man-show. Rire Arthur se rend compte qu’on parle de son crime dans les journaux et il est content. Rire Danse À ce moment, on tire le téléphone de notre poche : 50 minutes se sont écoulées. Il reste environ 1h. Arthur serait le fils d’un riche candidat à la mairie, un certain Wayne qui chie des ronds à ne plus savoir qu’en faire. Rire Il se fait jeter comme un malpropre, rentre chez lui et accompagne sa mère à l’hôpital. Rire Danse
Pendant ce temps, Wayne qui a dit que ses futurs-citoyens-riches étaient des clowns voit, dans sa ville, se déployer une révolte anti-riche, antisystème menée par des clowns. Rire Arthur rencontre finalement Thomas Wayne dans des chiottes en or et se fait frapper. Rire On apprend par la suite que sa mère a menti, qu’Arthur est adopté et qu’il était déjà coutume de le frapper étant enfant. Rire On se rend ensuite compte qu’Arthur n’a fait que fantasmer sur sa voisine mais que rien ne s’est jamais passé. Suite à quoi il étouffe sa mère. Rire Danse
Deux de ses anciens collègues se pointent Rire Arthur tue le gros et laisse le nain partir. Danse sur des escaliers Arthur est poursuivi par la police dans un train, les flics se font tabasser par des manifestants clowns parce que l’un d’eux se fait tuer par mégarde Danse Arthur doit passer en direct dans l’émission de Robert de Niro où il se fait appeler Joker. Rire et danse
Ce qui conduit à la scène la plus politisée du film, le laïus du Joker sur la société où il finit par flinguer Robert en direct à la télé, puis Rire. (Je regarde mon téléphone, on est environ à une heure et 45 minutes de film). Ce qui provoque une émeute Rire ce qui provoque la mort de Wayne devant petit Bruce. Joker devient une icône et est adulé par la foule en colère. Joker finit chez les fous Rire on lui demande ce qui est marrant et il répond you wouldn’t get (comme la hype du film) puis Danse


Mauvais personnage


Je ne me prétends pas spécialiste de Batman. Je n’ai lu aucun comics, vu les films de Nolan et de Burton, jouer aux jeux-vidéos, quelques vagues souvenirs de la série de 1992. Du coup, j’en parle comme j’ai compris ce personnage dans ce cadre-là.

Le Joker est le Némésis de Batman. Il est le reflet de la folie, les deux personnages se complètent. Batman se bat déguiser en chauve-souris, il répond à la folie du monde et du Joker par une autre forme de folie et les deux personnages sont antagonistes sur ce point, mais également dans leur conception du monde et de la société (chose d’autant plus appuyer dans le Dark Knight). Faire du Joker un personnage abstrait de Batman s’est osé mais ça lui enlève aussi une part de lui-même (il se construit aussi dans son opposition avec Batman : le Joker va un pas plus loin dans la folie). De fait, lui donner un background ne semble pas cohérent puisque ces personnages fonctionnent suffisamment bien dans leur opposition (autant physique qu’intellectuel). Si le Joker de Nolan est pour l’anarchie et le chaos, ce Joker-là semble trouver le monde merdique pour ses inégalités, sa morale, son humour, son cynisme, et la confrontation avec Batman aurait été intéressante pour qu’il trouve de quoi répondre à ça, questionnant les valeurs de Batman.
Le film porte mal son nom, le Joker ne prend vie que lorsqu’il est invité sur le plateau de Robert de Niro (méprisant et paternaliste) et qu’il se laisse finalement emporté par ce nouveau rôle. Mais si Arthur est apolitique, le Joker ne l’est pas, son acte et son discours sont profondément politique or pour mettre en mots et en actes sa pensée, elle doit être développée, chose qu’on ne voit jamais puisqu’Arthur EST apolitique : il ne prend pas fait de ces qu’il se passe autour de lui, de comment de pourquoi, il ne s’intéresse qu’à lui, à son image qu’il voit dans les médias. Pour que son discours eut été cohérent avec le personnage, il aurait fallu que ça reste dans le domaine du personnel, du ‘’moi-je’’ et de ne pas parler de système et de généralisation me semble-t-il. Et si c’est la seule scène qui prend le problème politique par le col et qui lui met deux baffes pour l’entendre faire prout, que cette seule scène corresponde au moment où Arthur se transforme en Joker, et qu’on s’astique sur cette unique scène, alors on est bien dans ce que je dis, que le Joker n’a pas besoin de background, ce n’est pas le fait que le Joker soit fou qui rend le personnage intéressant, c’est ce qu’il fait de cette folie et ce qu’il en fait, il ne fait que dans le dernier quart d’heure, de là à dire que le Joker est intéressant qu’un quart d’heure, il y a un pas… que je franchis.


Arthur Fleck, plus Columbine que Michael Myers


Oublions que ce film parle du Joker puisqu’il n’en parle pas. Pendant tout le film, nous suivons un artiste raté, un déséquilibré qui pète un câble et devient malgré lui une icone de la révolte. Le tout transposer dans l’univers de Batman - comment, sinon, justifier que des traders tabassent des gens dans des métros miteux ? – Autrement dit, l’histoire d’un psychopathe que la société a formée faute de pouvoir/vouloir l’aider, contrepied total à Michael Myers, psychopathe qui l’est parce qu’il l’est par nature ; a priori le personnage d’Arthur Fleck a plus de chose à nous dire puisque nous sommes impliqués, en tant que citoyens cohabitants avec lui, dans le processus de ‘’pétage de plomb’’ du personnage. Sauf qu’au final, on n’en sait rien : Fleck devient fou parce qu’il est malade ? Parce qu’il n’a pas d’aide ? Un peu des deux ? On ne prend jamais parti quand Carpenter assume que Myers est une simple machine à tuer par essence : cette nuance apportée à Fleck quant à sa pseudo-folie ne nous dit rien sinon qu’on ne sait pas l’expliquer, par conséquent, on ne pousse pas la réflexion bien loin, la réponse nous est donnée : il n’y en a pas vraiment. Ah. Ce qui est montré, en revanche, et qui a sa part d’intérêt, c’est la glorification d’un être qui n’est que dans le ressentiment : il tue par vengeance et par frustration, ce qui n’est pas sans rappeler les tueries dans les écoles américaines et qui justifie, m’est avis, en partie du moins, les critiques que certains journalistes américains ont pu faire au film quant à l’éloge de ce personnage. On peut en rire en Europe, le sujet est certainement plus sensible aux U.S, mais le fait est, qu’Arthur Fleck est bien plus proche de l’un de ces ados frustrés qui flinguent des gens aux hasards des écoles que d’un Myers. Ainsi, en le glorifiant, sans jamais le punir mais au contraire en l’apitoyant (pauvre Arthur – alors qu’en vrai, il n’est pas drôle, il est louche, flippant et à l’air chiant à mourir -) on en fait une sorte de héros, autant dans le film que dans l’esprit du spectateur qui va se prendre en photo habillé en clown sur des escaliers, alors qu’il n’est qu’un frustré. Adulé Arthur Fleck, ça revient peu ou proue à aduler les tueurs d’écoles : des frustrés. C’est le ‘’quiet kid’’ des memes qui dit au nain ‘’dont’ come to school tomorow’’ (ce qui, paradoxalement, atténue la menace du Joker : il n’est pas terrifiant puisqu’il ne tue que les ‘’méchants’’ : et non pas de façon arbitraire et folle, mais complètement raisonnée). Et ça c’est intéressant parce que le film a bien réussi à prendre à son propre-jeu les fans hardcore du personnage (pas du film) qui sont, pour la plupart, des frustrés qui s’ignorent.


Politique d’opérette


Le Joker n’est pas un film politique, ou alors une politique dont l’analyse s’arrête au simple ressentiment et à la frustration, les riches c’est de méchants cons qui sont méprisants et qui coupent les fonds publics (ce qui, en soi, n’est pas forcément faux). Sauf que ça reste encore bien simpliste et bien discrets dans ce qui est montré à l’image. La violence que le monde de la finance exerce est représentée à l’écran par 3 traders qui fracassent un type dans un métro (non, je ne m’en suis pas remis). Or, la violence du riche n’est pas de cet ordre-là mais bien plus dans le fait qu’on coupe les fonds aux aides psychiatriques et laissant ainsi des fous dangereux en total liberté dans la nature, que la justice soient phagocytés par des questions de rendements et qu’ainsi règne une violence quotidienne dans les rues, que par leur décision économique il n’y ait que précarité et insécurité, qu’ils y aient cessation et mépris, un tas de choses que le film essaie de dire indirectement. Mais qui touche directement le personnage. La différence est grande puisqu’on retombe, non sur de la politique, mais sur du ressentiment personnel cassant ainsi tout ce que le film pouvait avoir de message politique. Une politique à la carte donc où on peut y voir ce qu’on veut entre le fait d’aider ces pauvres bougres ou voir qu’ils sont des gens médiocres, assassin et pas drôle, jalousant ceux qui le sont. À choix, le film montre les deux, dans son inexpugnable envie de ne pas prendre un parti et de le tirer jusqu’au bout. C’est d’ailleurs bien pour ça que quand les véritables questions sont posées, quand le Joker prend forme sur le plateau de Robert de Niro (question sur le fonctionnement de la société, sur les différences de classes, sur l’humour, sur le mépris) ce n’est que dans le dernier quart d’heure. Parce qu’y répondre, ça serait faire preuve d’un film trop intelligent pour Hollywood ?


Rire, c’est bon pour la santé… Rire de bon cœur avec quelqu’un, c’est partagé des moments de bonheur…


Ah Johann, ton sourire et ta gaieté me manque. Parfois je pense à toi, sous la couette. Et là, je me demande, as-tu vu le film Joker, as-tu rigolé, non cyniquement mais de bon cœur ? Non, le film ne prête pas à rire en effet, il est même sur un ton plutôt tragique. Mais le personnage, Arthur Fleck, ne cesse de rire. Est-ce un bon rire ? Ton expertise aurait été la bienvenue, malheureusement, je devrai faire sans. Arthur Fleck rigole comme un bobet parce qu’il est malade (comme d’ailleurs le jeune garçon de Parasite qui rigole à un mauvais moment, c’est amusant de voir que deux films de 2019 ayant une petite base politique utilise le rire nerveux ; peut-être sommes-nous plus guère à l’aise avec notre humour, ah Johann, tu manques). Ainsi, son rire devrait être analysé dans chaque situation : quand il voit un stand-up, il rit mais il ne comprend pas les blagues. Quand il voit Chaplin, il comprend l’humour visuel et rit de bon cœur. Quand il parle avec Wayne dans les chiottes, il rit parce qu’il parle mal de sa mère. Quand il prend le bus, il rit parce qu’une scène a besoin de justifier le fait qu’il rit sans cesse. Qu’est-ce que ça dit d’autres ? Malheureusement rien de plus ; à nouveau le film n’aborde une thématique qu’en creusant à peine la surface sans en faire ressortir grand-chose ; pas d’interrogations sur l’humour, sur ce qui est effectivement drôle, on balance ça entre la crème et le fromage.


Du bon dans le cochon


L’aspect de la folie est assez bien représenté pour un film grand public hollywoodien et on n’est pas dans un film d’action bête et méchant comme on aurait pu s'attendre d'une énième adaption de comics et Joaquin Phoenix joue assez bien certaines scènes qui sont convaincantes et on voit que la folie le ronge de plus en plus. Mais au-delà de ça, c’est leeeeeent et j’ai trouvé que le film ne savait pas trop où il foutait les pieds. J’avais l’impression que le rythme du film voulait décoller à un moment mais sans jamais le faire et du coup tout ce que j’ai vu c’est un pauvre type qui danse et qui rit pendant 1h30, qui cours pendant 10 minutes, qui fait un speech pendant 5 minutes et qui fume le reste du temps sans que ça me fasse travailler ni les tripes ni la cervelle. Cela dit, on prend au moins le temps d'apprécier l’aspect et les visuels glauques et dévastés de la ville de Gotham qui sont assez jolis et l’univers est assez bien rendu. De plus, le film présente un intérêt et dans son traitement et dans la réappropriation du personnage de Fleck et de toute la frustration qui l’entoure. Hélas, frustration n’est pas réflexion et me semble, au contraire, être un germe plutôt néfaste à toutes actions futures basées sur cet élément de la personnalité humaine. Du reste, m’est avis que le film ne vaut pas les critiques élogieuses qui lui sont faites ; la multiplication des pistes lancées par le film (la folie, le rire, la politique, le symbolisme, le cinéma, la classe sociale, la violence, le juste et le bon, la révolte…) ne pousse aucunes idées très loin dans son traitement et on se retrouve avec un fatras de choses vite dites et à peine profonde qui laisse un goût d’indifférence et laisse avec cette seule question : ‘’tout ça pour ça ?’’

Ji_Hem_
5
Écrit par

Créée

le 19 nov. 2019

Critique lue 429 fois

2 j'aime

Ji_Hem_

Écrit par

Critique lue 429 fois

2

D'autres avis sur Joker

Joker
Samu-L
7

Renouvelle Hollywood?

Le succès incroyable de Joker au box office ne va pas sans une certaine ironie pour un film qui s'inspire tant du Nouvel Hollywood. Le Nouvel Hollywood, c'est cette période du cinéma américain ou...

le 8 oct. 2019

235 j'aime

12

Joker
Larrire_Cuisine
5

[Ciné Club Sandwich] J'irai loler sur vos tombes

DISCLAIMER : La note de 5 est une note par défaut, une note "neutre". Nous mettons la même note à tous les films car nous ne sommes pas forcément favorables à un système de notation. Seule la...

le 11 oct. 2019

223 j'aime

41

Joker
Therru_babayaga
3

There is no punchline

Film sur-médiatisé à cause des menaces potentielles de fusillades aux États-Unis, déjà hissé au rang de chef-d'oeuvre par beaucoup en se basant sur ses premières bandes-annonces, récompensé comme...

le 2 oct. 2019

193 j'aime

123

Du même critique

Jeffrey Epstein : Pouvoir, argent et perversion
Ji_Hem_
3

Qui est Jeffrey Epstein ? Sérieusement, c'est qui ?

Le jeune homme éteint son ordinateur, on est vendredi soir et il ne sortira pas. Peut-être demain, se dit-il. Il soupire. « Déjà 23h ! Misère, ma partie d’Age of Empires II a durée plus longuement...

le 19 juin 2020

7 j'aime

2

Dune
Ji_Hem_
4

« Le dormeur doit se réveiller ! ... monsieur, s'il vous plaît, on va fermer le cinéma ! »

Denis Villeneuve, ou, devrait-on dire, Denis Vieilleville (huhu) tant il semble s’attarder à des projets qu’on aurait dû laisser reposer en paix dans les années 80, après un Blade Runner 2049...

le 22 sept. 2021

4 j'aime

We Are Still Here
Ji_Hem_
1

Se faire traiter de con par un film pendant 1h20

En deux phrases, nous avons à faire à l'un de ces condensé des (vraiment pires) clichés du cinéma d’horreur traités de manières à ce que le spectateur se doive de les prendre au sérieux parmi...

le 2 févr. 2020

4 j'aime