J’ai vu « Joker », le dernier en date, avec Joaquin Phoenix. Pour ne pas céder à l’influence d’une mode, je regarde toujours les films « à la mode » quand ils ne sont plus à la mode. Quand un autre long-métrage le remplacera dans l’esprit des spectateurs.


Alors, on va vite se débarrasser des évidences : Joaquin Phoenix est bon, très bon. Il absorbe cette drôle d’identité du Joker sur le visage de qui ne se lit progressivement plus que le néant, le nihilisme le plus sombre, dans ce rire sans humour. Ok.


Certains plans sont bouleversants de véracité. Et il y a à peu près deux cents références à de grandes œuvres cinématographiques (Taxi Driver, Fight Club, The Game, etc.).


Et puis il faudra évoquer l’essentiel. Le film s’essouffle au bout d’une heure après avoir grillé toutes ses cartouches : le rire compulsif d’Arthur. La seconde moitié du film (celle qui commence après l’AVC de la mère d’Arthur) est plate. Sans rythme, sans conviction. Parce qu’elle n’a plus rien à raconter. Parce qu’elle psychologise trop au début, la narration n’a plus rien à développer par la suite. Il est malheureux parce qu’il a eu plein de problèmes dans son enfance, et sa mère est une mythomane psychotique, bon, bon… Et puis ? Et puis rien. Même Joaquin Phoenix semble ne plus y croire à la fin. Parce que le nihilisme contamine tout, même les spectateurs. C’est un film triste, ça, c’est un parti-pris. Une heure consacrée aux causes de sa tristesse. Une autre aux conséquences. Mais sur la même tonalité ; lente, grise, sale, dans un présent sans fin, sans telos, sans objectif, sans téléologie.


Au début, le Joker est seul, et son univers est riche. Là, je voulais bien y voir une belle allégorie de la désindivuation des réseaux sociaux qui rompt les liens sociaux et esseulent plus qu’ils ne communautarisent. Mais en situant le film dans une fin des années 80, sans contexte politique, sans contexte social ou économique ou culturel, le seul média présent, obsessionnel, du film, étant le poste de télévision (dedans et dehors, avec un De Niro qui sous-joue, qui laisse à Phoenix les feux de la rampe, un rôle convenu et attendu de bout en bout), le choix du réalisateur consiste à nous enfermer dans un monde creux; Sans causes autres que la crise de l’ego.


La télévision qui bouffonne, la télévision du divertissement si typique des années 80-90. Mais elle avait un sens, une signification, cette tendance à la bouffonnerie perpétuelle. C’était la chute de l’empire soviétique,la victoire de son contre-modèle sirupeux du néo-libéralisme qui vend par la légèreté, qui fait oublier par la consommation.


J’avais cru entendre, comprendre, dans certaines critiques émises lors de sa sortie que le film pouvait être une métaphore des Gilets Jaunes. Si seulement… La longue crise des Gilets Jaunes en France, celle des manifestations et des grèves liées à la réforme des retraites, et celle à venir de la réforme du système de santé, sont exactement les symptômes d’une société civile à qui on ôte son telos, sa projection, au sens propre (son projet, son « jet de pierres », sa vision de l’avenir). Alors que, hélas, les mouvements de foule, chaotiques, violents, agressifs du film sont sans but. On explose des pare-brises parce qu’on n’est pas contents. En colère contre le monde de Wall Street, incarné par les trois gars que Joker va tuer, et c’est à travers ce triple meurtre qu’Arthur devient progressivement Joker. La violence aurait pu être un angle pour comprendre la psyché de Joker, elle ouvre le film (scène de tabassage dans une ruelle), et ouvre la seconde moitié (scène de tabassage dans le métro). Mais rien n’explique le choix qu’il fait de les tuer, eux, plus que les gamins violents de la première scène. Ce n’est pas un choix. Arthur ne tue pas symboliquement Wall Street à travers les traders (qui prennent le métro et harcèlent une jeune femme seule en lui lançant des frites -!!-), il passe à autre chose, ça, je veux bien. Juste un hasard. Une circonstance.


Une circonstance symbolisée comme une lutte contre les élites, celles du monde des finances et des médias (incarnés par De Niro), qui arrange bien les spectateurs parce que ça donne enfin du sens à cette pulsion qui n’en a pas. Il tue, et personne ne peut dire pourquoi. Même le twist final n’a plus aucun sens : s’il incarnait un prolétaire psychologiquement ruiné par le capitalisme et les élites, il ne tuerait pas une assistante sociale.


Comme le dit Arthur en étouffant sa mère, sa vie n’est pas une tragédie, mais une comédie (on ne saisit pas en quoi, d’ailleurs). Ce film n’est pas un pamphlet. C’est l’épopée triste d’un homme seul sur qui tout le monde se méprend. C’est un film générationnel, parce qu’on sait aujourd’hui pourquoi on est mécontent, malheureux, médicamenté, mais on ne sait pas comment s’en sortir. C’est un film Instagram. Une histoire fondée sur un univers graphique redondant, un présent, sur une vague psychologie, trop nette pour être honnête (il n’y a pas beaucoup de gens qui furent des enfants attachés au radiateur, mais beaucoup sont soignés aujourd’hui pour dépression, burn-in, burn-out, etc.). Une histoire sans projection, foutraque dès la fin de la première heure. Exactement comme les combats actuels : on comprend vaguement l’origine, on vit mal et on est malheureux, mais on ne se projette pas/plus.

sylkor
3
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le 26 déc. 2019

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sylkor

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