Joker est un grand film.
Clairement, Joker est un grand film et pour de multiples raisons.
En tout premier lieu Le film réalisé par Todd Haynes (réalisateur au demeurant anecdotique) échappe au format habituel des ‘films de super -héros ‘
Le personnage d’Arthur Fleck merveilleusement interprété par Joaquim Phoenix se situant radicalement à l’opposé.
Ici pas de costumes flamboyants, encore moins de grimaces à la Nicholson (un Joker de référence pourtant inévitable)
La folie croissante du personnage est ici bien davantage psychologique Avec sa démarche, ses pas de danse, son regard désespéré, sa détresse intérieure, sa tristesse dissimulée et bien évidemment son rire glaçant symbole de sa terrible souffrance et de son dérèglement mental Arthur Fleck n’a donc rien d’un héros (encore moins d’un super héros) il n’est même pas un (super) méchant
Il est Arthur Fleck minable apprenti comédien de stand up et pauvre clown de bas étage, un invisible, un humilié un être de survivance et de souffrance et surtout grande force du film il est Arthur Fleck avant même d’être le Joker
Car même si le Joker existe (nous assistons même à sa naissance en tant que tel) il existe ici sans Batman
Le film de Todd Haynes est un film totalement Scorsesien la référence a Taxi Driver se posant ici comme une évidence, presque comme une signature
Comme dans le chef d’œuvre malade de Martin Scorsese nous pénétrons dans les méandres du cerveau dérangé du personnage, nous sommes les témoins de l’introspection et de la folie progressive qui transforme un homme désespéré en assassin méthodique
Le Gotham City de ‘Joker ‘ est aussi une métaphore assumée du New York de ‘Taxi Driver ‘ville fantôme, sale, dangereuse, ville de décadence désœuvrée et dans laquelle se glisse Travis Bickle incarné alors par un De Niro mémorable.
Des décennies plus tard De Niro est présent dans ce Gotham City déshumanisé incarnant ici Murray Franklin, un animateur de débats télévisés à succès qu'Arthur Fleck adore
Le lien entre le Travis Bickle de Taxi Driver (Scorsese -1976) mais aussi celui avec le Rupert Pupkin de ‘La Vase des Pantins’ (Scorsese -1983) est parfaitement clair.
On est plus ici dans le clin d ‘œil mais clairement dans la référence et quelle référence !
Si le film est une grande réussite (bien au-delà de l’interprétation exceptionnelle de Joaquim Phoenix qui livre ici une prestation grandiose (Oscar mérité a la clé) c’est aussi par ce qu’il ne tombe jamais dans le piège de la maladie mentale pour justifier la violence et le dérèglement
‘Joker ‘ se veut une critique sociale et très réaliste d’une société qui perd ses repères et se décompose ( on pense évidemment a ‘Orange mécanique (Kubrick-1971 ) a ‘ Un après-midi de Chien (Lumet -1975) et inévitablement a ‘ Taxi Driver’ ) tous reflets d'une société malade (qui ressemble curieusement a la nôtre (même si l’action semble se situer à l’aube des années 80 ) un monde décadent ou le (petit) peuple et les élites (politique, médias, puissants) ne se comprennent plus
‘ Joker ‘ aime aussi à brouiller volontairement les pistes et jouer avec " le vrai et le faux" laissant libre cours aux multiples interprétations de certaines scènes et notamment de la stupéfiante séquence finale (sur fond musical du ‘That’s life’ de Frank Sinatra)
Comme dans ‘ Inception (Nolan -2010) ‘Shutter Island ( Scorsese Encore !!!!!-2010 ) ou d’autres grands films (notamment chez David Lynch) ‘ Joker ‘ ose proposer une lecture a différents niveaux le spectateur doit trouver ses propres réponses au travers des pistes ( vraies ou fausses) distillées par le réalisateur avec l’apothéose d'une Pirouette finale qui laisse adroitement place aux interprétations diverses forçant ainsi le spectateur à se replonger et à réfléchir a tout ce qui lui a été montré depuis les premières minutes .
Ceux qui aiment tergiverser et débattre après le mot FIN vont adorer, ceux préférant les fins de films totalement abouties vont de toute évidence beaucoup moins aimer.
Le Grand Martin Scorsese (dont il a beaucoup été question ici) affirmait dernièrement au magazine ‘Empire’ que' les films de super-héros ne sont pas du cinéma' .
Scorsese a beau être (souvent) génial sur ce coup-là il a tout faux.
Joker qui est tout sauf un ‘film de super héros se révélant plutôt a mes yeux comme un exemple parfait de grand cinéma