"C'était déjà ma préférée quand j'étais gosse"

Difficile d’expliquer avec des mots d’adulte ce que Jurassic Park signifie pour moi (et sûrement tant d’autres enfants ayant grandi dans les années 90).


Pour être le plus fidèle possible au sentiment originel, il faudrait vous emmener plus de vingt ans en arrière, dans la tête d’un petit garçon avec trop d’imagination et des idées farfelues qui débordent de son petit crâne. Il ne sait pas encore ce qu’est un travelling, une contre-plongée ou un plan-séquence, et quand bien même il s’en fout. Lui, tout ce qu’il voit c’est un espèce de truc immense qui fait des feux d’artifice dans son cerveau ; un truc si intense que, pour la première fois de sa courte vie, il fait l’expérience d’une sensation jusqu’alors inconnue. C’est un peu comme un rêve, sauf qu’on s’en souvient vachement bien, et que tout paraît réel - ou tout du moins tangible.


Pour ce gamin, emmitouflé dans sa couverture devant la télé, avec les yeux si grands ouverts qu’il en oublie presque de cligner, c’est un moment particulier. Il a souvent eu des idées de mondes utopiques, où des animaux incarnés se mettent à tondre la pelouse ou faire la vaisselle. Parfois il les dessine, et tout le monde rigole. Mais là, c’est pas pareil. C’est pas une de ces choses un peu floues qu’il se représente dans sa tête mais qui semble avoir la consistance d’un nuage. Là c’est réel. Personne ne peut en rire ou le remettre en question. Ils le voient bien, sur l’écran, que c’est réel. Et l’espace de deux petites heures, tout semble possible, et ce gamin devient roi des fous au royaume de l’imaginaire.


Ce que j'aime aujourd’hui dans Jurassic Park, c'est qu'il représente une période du cinéma à grand spectacle malheureusement en grande partie révolue : celle de la surprise et de l'émerveillement. Et je ne veux pas dire émerveillement du type "wow, les effets spéciaux sont hyper bien foutus", mais plutôt "wow, j'ai l'impression d'être un gamin de sept ans face à une réalité qui le dépasse". Spielberg a d'ailleurs toujours eu cette propension à placer les enfants au coeur de ses aventures (E.T., Empire du soleil, A.I. intelligence artificielle, La guerre des mondes, etc.), comme s'ils devenaient, le temps du film, une sorte de personnage transfert, un représentant du public avide d'imagination et de frissons.


Au delà de ses effets spéciaux, l'oeuvre dinosaure de Spielberg a aussi été précurseur sur un aspect particulier : celui du marketing. Le foisonnement d'objets dérivés présents dans le film et hors du film (sacré idée publicitaire, ceci dit) annonçait l'emphase de plus en plus prononcée sur la thune au delà du produit, la forme au delà du fond. Le blockbuster parachevait sa transformation : de grand spectacle vintage pour toute la famille (à l'image de nombreux succès post deuxième guerre mondiale), il passait mauvaise excuse pour se faire des dollars (je généralise, certes, mais l'idée est là).


J'ai longtemps recherché un film qui me fasse ressentir cette sensation étrange d'anticipation effrayée mêlée à un plaisir naïf de découverte et de grandiose. Et je n'ai jamais réellement trouvé. Le fait est que le contexte aussi a changé : j’ai grandi et, même si j'ai tenté de garder une âme d'enfant, mon cerveau connaît désormais trop bien les grandes ficelles du cinéma pour me laisser gober par les grandes machines à dollars des studios US. Je garde malgré tout énormément d'affection pour Jurassic Park (je peux évidemment réciter l'intégralité des dialogues de mémoire), et je me retrouve souvent, pour éprouver à nouveau ne serait qu'une once du sentiment de l'époque, à re-visionner certaines scènes (en particulier ces deux-là). Et l'espace d'un instant, j'ai à nouveau sept ans et j'apprends à mes potes la différence entre le brachiosaure et le diplodocus.


Etrangement, j’ai la sensation que ma perception du film a grandi en même temps que moi, prenant des formes variées mais avec toujours la même intensité et le même amour. Petit, je regardais en tant que Lex ou Timmy, enfant ébahi devant l’écran et avide de questions à propos de concepts qui le dépassent entièrement. A l’adolescence, je suis devenu Ian Malcolm. Un peu décalé, plutôt cool, à regarder le film avec une distance comique et ironique mais néanmoins pleine d’affection. Aujourd’hui, j’ai les yeux d’Ellie Sattler ou d’Alan Grant : je connais mon sujet, et je peux paraître dubitatif au départ ; mais je ne manque jamais de m’émerveiller en voyant des choses passées revenir à la vie devant mes yeux. Peu importe ce que je pense, ce que j’ai étudié, ce qui semble faisable ou réel ou possible - j’oublie tout pour juste regarder et apprécier, avec l’impression d’avoir en ma possession les clés pour comprendre enfin un monde révolu.


Il me reste encore, et j’espère que ça arrivera un jour, à devenir un John Hammond. J’aurai vécu une vie dense et riche ; j’aurai fait des trucs inimaginables et acquis des expériences uniques. Mais au fond de moi, je garderai une part de folie et de candeur, et me souviendrai que rien n’est impossible si l’on s’en donne les moyens. Et alors, la barbe grisonnante et le sourire en coin, la K7 usagée à la main, j’inviterai d’autres, plus jeunes, dubitatifs et plein d’à-priori, à venir être témoin de l’aventure d’une vie.

Wittle
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le 7 avr. 2016

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Wittle

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