On ne présente plus Jurassic Park. Blockbuster d’une génération, film de monstre ultime en son temps, porté par un Spielberg plus inspiré que jamais qui livrait un techno-thriller intelligent, merveilleux et terrifiant, transformant un rêve de gosse en pur cauchemar. Si sa première suite livrait une maîtrise visuelle toujours aussi impressionnante, l’échec critique du troisième volet aura finalement fortement réduit les espoirs de sequel, au grand dam des amateurs de dinosaures, enterrant finalement la saga pendant une durée de quatorze ans. Mais comme ces temps-ci Hollywood semble avoir des pulsions nécrophiles, il ne faisait nulle doute qu’on allait nous ressortir le bouquin de Crichton des tiroirs pour relancer la machine.


Il y a une thématique en particulier qui parcourt Jurassic World de part en part : celle de la fin de l'émerveillement. Tout est allé si vite en vingt ans – technologie, effets spéciaux, imaginaire – que la préoccupation désormais principale des actionnaires, c’est de donner toujours plus à son public. Ce point de départ est très intéressant car il semble être une allégorie de la situation du film. Entre deux ou trois invasions extra-terrestres et autres figures superhéroïques, il est en effet de plus en plus difficile pour un producteur hollywoodien de faire rêver son spectateur. Visuellement, il n’y a plus aucune limite, et vu que changer la recette serait trop risqué, l’option est exclue. La solution ? Pousser le vice encore plus loin.
S’agit-il de l’excuse trouvée par le film pour justifier son manque d’originalité ou bien d’une métaphore quelque peu hypocrite du système dont il fait partie ? Reste que le problème de Jurassic World n’est pas réellement son écriture – en tout cas pas au début. Les thématiques rappellent Crichton et on est de ce point de vue bien plus proches des livres que des précédents films – même si les vagues pistes de réflexions sont très mal exploitées et ne vont pas très loin.
Non, le problème de Jurassic World, c’est Jurassic Park. Le fanservice invasif, les références à gogo, les personnages en miroir de ceux des premiers films (Alan version dresseur, Malcolm version geek, Hammond version prince du pétrole), des enjeux connus et un méchant superficiel. Tout ce beau monde tient à peu près la route pendant une heure, au grès des scènes de tension plutôt prenantes et de quelques idées d’écriture prometteurs, mais la structure s’effondre dans la dernière partie nanardesque. Jurassic World se prend le mur, une situation illustrée à merveille par une scène d’action finale ridicule et une conclusion brusque qui semble arriver comme un cheveu sur la soupe.


Pas de scènes marquantes, pas de répliques cultes en devenir, pas de personnages transcendants. Juste une suite prisonnière de ses prédécesseurs, la magie en moins, les ordinateurs en plus. Jurassic World n’est pas une catastrophe, c’est juste un film médiocre. Un blockbuster typiquement 2010s, avec ses codes visuels aseptisés, une écriture héritée de chez Marvel qui se casse le nez par son absence de suggestion. A vouloir trop en faire, Trevorrow n’aboutit à rien. Quatorze ans d’attente pour un résultat aussi anecdotique, c’est plutôt frustrant. Et pourtant, derrière ces failles béantes, se cache un divertissement honnête qui aurait presque été une réussite s’il ne passait pas après Spielberg. Le témoignage de la fin programmée d’Hollywood.

Vivienn
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le 11 juin 2015

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