En 1993, Steven Spielberg portait l'effroi sur grand écran à coups de créatures titanesques aux mâchoires colossales, garnies de dents acérées et de viandes faisandées. "Jurassic Park" a alors tout du spectacle vertigineux : des animatroniques plus vrais que nature, développés par les studios de Stan Winston, des images de synthèse impeccables, confectionnées par Industrial Light & Magic, une cascade de plans renversants et de séquences à couper le souffle, impliquant tant les raptors que le T-Rex. Le film a enchanté et terrifié des générations entières, horrifiées par une chasse haletante dans une vaste cuisine ou impressionnées par un prédateur gigantesque s'échappant de son enclos avant de s'en prendre à deux gamins mal embarqués.
C'est ce sens du spectacle mêlé à un suspense tiré au cordeau que Colin Trevorrow tente de reproduire à travers ce "Jurassic World" aux multiples clins d'oeil - les enfants perdus, le matériel et les acteurs hérités du premier film, un t-shirt arborant le logo de "Jurassic Park", quelques séquences faisant écho à l'oeuvre de Spielberg, un final à certains égards mimétique... Le spectateur se trouve immergé dans un parc à dinosaures truffé de décors futuristes, accueillant plus de 20 000 visiteurs par jour venus du monde entier. Pour attirer le chaland, les grandes marques en viennent à sponsoriser de nouvelles créatures génétiquement modifiées, toujours plus grandes et terrifiantes. Une pratique présentée de telle sorte qu'elle contient explicitement une double critique : aux capitalistes aveugles et aux savants fous, deux types de personnages contrebalancés par quelques idéalistes peu en phase avec les réalités du terrain.
Comme tout blockbuster qui se respecte, "Jurassic World" nous gratifie de valeurs familiales retrouvées, de quelques placements de produits indigestes et d'un scénario comportant son lot d'inepties - une allusion au divorce aussitôt oubliée, les raptors inféodés aux uns et aux autres, les scientifiques libres de faire ce qui leur chante, une sécurité toute relative, des personnages secondaires plus figuratifs que fonctionnels, comme celui d'Omar Sy, sans intérêt narratif aucun. Le spectacle donne sa pleine mesure à partir du moment où un dinosaure optimisé, doté de capacités physiques, biologiques et intellectuelles hors du commun, parvient à se soustraire à la vigilance des hommes pour mieux décimer le parc. S'ensuit une partie de chasse grandeur nature, convoquant des créatures de toutes sortes et mettant en péril la survie des visiteurs de "Jurassic World". Pas dénué d'humour, le film de Colin Trevorrow bénéficie d'une image soignée à défaut d'une mise en scène brillante. Si l'on peut être, comme moi, happé par le spectacle, il n'empêche que la fragilité du scénario et les nombreuses redites calquées sur le film de Spielberg peuvent agacer. Ce qui n'a pas suffi, pour ma part, à gâcher cette expérience de cinéma aux effets spéciaux impeccables et aux climax réussis.